Esquisses
Par ordre alphabétique
Le bonheur
En somme, ce bonheur aurait quelque chose de paradoxal : il suppose en effet que l’on ne se préoccupe pas d’abord de ce qui nous plaît, nous satisfait. Il en irait de lui comme du plaisir que l’on éprouve à agir de façon désintéressée : il ne pourrait arriver que comme un « plus », un surcroît, c’est-à-dire à condition de ne pas avoir été visé comme but ; et inversement, le fait même de le viser comme un but serait le plus sûr moyen d’empêcher sa venue. |
La charité Peut-être la meilleure définition de la charité pourrait-elle être finalement : l'attitude qui consiste à donner à l'autre ce dont il a besoin, mais à quoi il ne peut pas avoir droit. Considérée ainsi, ne serait-elle pas, tout à la fois, irremplaçable par la justice, exempte de la recherche d'un intérêt caché pour celui qui l'effectue, et dépourvue d'humiliation pour celui qui en bénéficie ? |
La confiance
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Croire Celui qui croit est, d’abord et avant tout, celui qui ne sait pas. Croire paraît bien, en effet, s’opposer à savoir : lorsqu’on sait, on ne croit plus, on sait. Mais cette opposition prend bien souvent, dans l’opinion courante, la forme plus précise d’une hiérarchie : n’est-il pas clair qu’il « vaut mieux » savoir que croire ? Le premier offre assurance et certitude, là où le second en reste à une simple possibilité ou à un espoir. En somme, le savoir représenterait l’aboutissement, la réussite de ce qui, dans le croire, resterait à l’état d’ébauche, de désir inassouvi. Croire serait un pis-aller, une sorte de sous-savoir : on ne croirait que « faute de mieux », lorsque le savoir est hors d’atteinte ; pire encore : croire pourrait bien être une solution de facilité, permettant d’éviter l’angoisse de l’ignorance et les affres de la recherche : celui qui croit ne se donne-t-il pas à fort bon compte toutes les réponses ? Il est vrai que la foi est toujours sous la menace de l’illusion et de la trahison. Mais c’est que, précisément, la foi, contrairement à la simple croyance, affronte le risque et le doute : elle ne les dépasse qu’en acceptant d’abord de passer par eux. |
La culture
Étymologiquement, le terme culture renvoie aux notions de soin, de souci actif et attentif, voire de respect et de dévotion – comme le rend visible le terme culte qui lui est étroitement apparenté. Ainsi cultiver signifie : entretenir ou développer, en travaillant avec soin et attention. Cela se retrouve dans les deux principaux usages du terme, en français, qui concernent la nature pour l’un (ainsi parle-t-on d’agriculture, d’apiculture, etc.), l’esprit pour l’autre (ainsi dit-on d’un homme qu’il est cultivé). Si l’on songe que l’habitude a pu être justement définie comme une seconde nature, l’apparition de ce nouvel usage du mot culture pourrait bien représenter un véritable renversement de son sens classique. Et l’on est en droit de demander finalement : si la culture se reçoit passivement et comme malgré soi, si elle se manifeste sur le mode de l’expression, quelle différence y a-t-il entre elle et la nature ? |
Le dialogue
Quand le dialogue est ainsi compris, chacun peut en attendre la découverte de nouvelles idées, certes, mais aussi et bien plus, la découverte d'une nouvelle façon d'être en rapport avec les idées, ( y compris et surtout avec celles que l'on a déjà), avec les autres et avec soi-même. |
L'éducation
Éduquer est un devoir absolument impérieux, car il y va de la possibilité même de l’existence d’une humanité. |
La fragilité Et il faut bien que quelque chose justifie pareille « folie » : pourquoi donc ne pas profiter de la fragilité de l'autre, quand elle est encore plus grande que la sienne ? La perspective de « l'intérêt bien compris », par exemple, offre à cet égard une réponse simple – un peu trop simple ? |
Humanité et animalité Oui ou non, y a-t-il entre l’homme et l’animal une différence radicale, absolue ? Ou bien l’homme n’est-il qu’un animal un peu plus évolué que les autres ? A travers ces questions, nous cherchons si, en l’homme, se trouve « quelque chose » qui serait véritablement non-animal. Pour dépasser le stade des idées reçues et des « évidences » trompeuses, cette recherche devra tenter de préciser ce qu’il faut entendre par « animalité ». Car comment savoir si l’homme est ou non un animal, si nous ne savons pas au juste en quoi consiste l’animalité ? Sur ce point, l’obstacle classique et redoutable est l’anthropomorphisme (attitude qui consiste à concevoir tous les êtres sur le modèle de l’homme) : si l’on commence par attribuer des caractères humains à l’animal, il n’est pas étonnant que l’on conclue ensuite à l’animalité de l’homme. Pour inviter à la réflexion, on peut donc avancer cette thèse volontairement provocatrice : il n’y a rien d’animal en l’homme. |
Concluons : il semble particulièrement important de ne pas se tromper sur le vrai sens de l’humilité, car toute erreur à son sujet irait forcément de pair avec une méprise sur le vrai sens de la dignité, et donc sur la juste attitude à avoir envers soi-même comme envers autrui. |
La liberté s’entend généralement comme possibilité de faire ce que l’on veut. Elle revêt alors deux aspects : 1) tout d’abord, la possibilité de faire ; il s’agit alors de la liberté physique, qui implique seulement l’absence d’obstacle matériel (celui qui est enchaîné est privé de cette liberté). 2) Ensuite, la possibilité de faire ce que l’on veut, et non autre chose ; il s’agit alors de la capacité à décider, à penser et vouloir à partir de soi-même. La liberté prise en ce sens ne se heurte plus à des obstacles matériels : même celui qui est enchaîné la possède, car pensée et volonté ne peuvent être entravées de cette manière. La liberté est tout sauf facile et confortable. Il faut la revendiquer, mais la revendiquer tout entière, en comprenant donc que vouloir la liberté, c’est vouloir la responsabilité et l’inquiétude. Celui qui ne cherche à satisfaire que son bien-être et sa tranquillité doit fuir la liberté, ou ruser avec elle, mais dans tous les cas la trahir. |
La mauvaise foi fait violence à la vérité, mais d'une manière qui en fait une espèce particulière de mensonge. Tout mensonge, en effet, n'est pas manifestation de mauvaise foi, et sans doute faut-il commencer par tenter de saisir ce qui est propre à cette dernière. Une chose semble sûre : à celui qui se cantonne dans cette posture, il n'y a pas grand-chose à dire... La mauvaise foi, par nature entêtée et d'une inventivité infinie, empêche tout dialogue. Ce qui ne doit pourtant pas empêcher de dialoguer à son sujet, avec bonne volonté et en toute bonne foi. |
Quel qu’il soit, le plaisir est provoqué par quelque chose, il a une cause. Cette cause est-elle forcément extérieure, par rapport à l’être qui éprouve du plaisir ? Si oui, cela semble indiquer que le plaisir est toujours inscrit dans une relation avec autre chose que soi. Mais dans la mesure où il se ressent, s’éprouve, le plaisir paraît bien être aussi un rapport avec soi-même : c’est une manière de se sentir. Il faudrait alors l’envisager comme un rapport avec soi-même, engendré par un rapport avec autre chose que soi : un état dans lequel le fait d’être soi, et le fait d’être relié à autre chose, sont présents tous deux. Comme tout ce qui s’éprouve, le plaisir est décidément bien plus facile à vivre qu’à comprendre. Il est pourtant important de savoir quel « soi-même » nous vivons, en l’éprouvant… |
Considérée d'abord de façon tout à fait générale, la notion de pouvoir conduit à envisager un type de réalité ou d'existence bien particulier. En effet, un pouvoir n'est ni une réalité effective, ni une absence de réalité, mais la présence d'une potentialité, c'est-à-dire de toutes les conditions permettant à une action de s'exercer effectivement, ou à un être de se développer et de devenir réel. Comme le disait Aristote, définissant justement ce qu'il appelait « l'être en puissance », il s'agirait donc d'une sorte d'intermédiaire entre l'existant et l'inexistant, entre l'être et le non-être, entre la présence et l'absence... Ainsi par exemple le bourgeon est-il une fleur « en puissance », la fleur n'étant rien d'autre que le déploiement ou la réalisation du bourgeon : en ce sens elle est déjà « présente », d'une certaine façon, en lui. Toutefois, dans ses usages les plus fréquents, le terme « pouvoir » paraît désigner quelque chose de plus précis que la potentialité ou la puissance en général : à savoir, une potentialité dont la réalisation dépend d'une volonté. Qu'il soit inné (par exemple, pouvoir de séduction, ou pourquoi pas, « pouvoir magique ») ou acquis (pouvoir économique, politique, etc.), le pouvoir s'envisage en effet comme une capacité d'agir, ou d'engendrer certains effets, qui est à la disposition d'un être doué de volonté, plutôt que comme une possibilité qui deviendra nécessairement effective en vertu d'une loi naturelle (comme c'est le cas pour le bourgeon). Se pose donc la question de son attribution et de son utilisation : à qui faut-il donner tel ou tel pouvoir (lorsqu'il s'agit d'un pouvoir qui se donne, se confère) ? Quand et de quelle façon doit-il être utilisé ? Ces questions se posent d'autant plus que, quels que soient son domaine et sa forme, l'exercice d'un pouvoir est nécessairement l'exercice d'une maîtrise ou d'une domination : une action qui, d'une manière ou d'une autre, va influer sur la situation, la vie, l'existence même de quelque chose ou de quelqu'un. Dans ce dernier cas, celui d'une action sur les personnes, c'est-à-dire sur des êtres eux-mêmes doués de volonté, la question du pouvoir a un enjeu éthique majeur : l'usage du pouvoir que l'on a sur quelqu'un peut-il être légitime, c'est-à-dire compatible avec le statut de personne de celui sur qui on l'exerce ? Si oui, à quelles conditions ? A l'échelle collective, le problème et ses enjeux seront au fond identiques, même s'ils sont démultipliés. Au singulier, et selon son usage moderne, le mot « pouvoir » désigne implicitement le pouvoir politique. Ce dernier serait-il donc le pouvoir, et non pas seulement un pouvoir ? Serait-il le pouvoir par excellence ? Ce qui peut le faire penser, c'est peut-être le fait que ce pouvoir est celui qui peut ou veut réguler tous les autres, fixer à chacun (économique, judiciaire, religieux, etc.) sa place et ses limites au sein du tout que forme une collectivité. Si tel est le cas, on comprend que la question de la légitimité du pouvoir se pose avec lui au suprême degré. Fixant lui-même les limites et les conditions de tous les pouvoirs, par qui ou par quoi s'en verra-t-il fixer lui-même ? Si c'est par autre chose que lui-même, la question se trouvera repoussée d'un cran – y compris dans le cadre de la moderne « séparation (et limitation réciproque) des pouvoirs ». Si c'est par lui-même, l'auto-contrôle dont il s'agit alors semble nous contraindre à formuler pour finir deux suggestions conjointes. Peut-être le pouvoir, quel qu'il soit, n'accomplit-il vraiment son essence que comme pouvoir sur soi-même, le pouvoir sur autre chose n'étant possible et légitime qu'à titre d'effet de celui-ci. Peut-être, du coup, toute hiérarchie ou organisation de pouvoirs ne peut-elle être légitime qu'assise sur un pouvoir nécessairement reconnu ou déclaré absolu, une toute-puissance donc, dont disposerait un être à la volonté nécessairement droite. C'est Dieu qui, jadis, paraissait remplir cette double condition ; mais en est-ce une autre que l'on veut faire remplir, aujourd'hui, au peuple ?...
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Comme le mot l'indique, un préjugé est un jugement porté d'avance, « avant ». Avant quoi ? L'examen, la vérification ou le constat qui le justifieraient. Préjuger signifie donc : tenir pour acquis quelque chose qui, objectivement, ne l'est pas ; ou tenir pour vraie une affirmation qui, en fait, reste douteuse. C'est pourquoi le préjugé semble bien être illégitime par définition : il consiste en une précipitation de l'esprit dans le jugement, opérée plus ou moins de bonne foi, et peu importe à cet égard qu'il soit « favorable » ou « défavorable ». De façon plus précise, dans son usage le plus fréquent le préjugé paraît porter essentiellement voire uniquement sur des personnes ou des groupes de personnes, et concerner la moralité de leur comportement. A propos d'un individu, le préjugé consistera à juger d'avance comment il se comportera, d'après ce que l'on estime être son caractère irréformable : « Untel est ainsi, il va donc nécessairement faire ceci ou cela ». A propos d'une catégorie, le préjugé consiste à lui appliquer une caractéristique constatée chez quelques individus ; et par conséquent, à faire de cette caractéristique une composante de l'essence même des membres de cette catégorie, ce qui autorise ensuite à l'appliquer immédiatement à tout individu qui y appartient. Par exemple, comme il est bien connu, les Gitans sont des voleurs et les Suisses sont propres ; tout individu qui est soit Gitan, soit Suisse, pourra donc être jugé voleur ou propre avant même que son comportement n'ait été effectivement observé. Dans les deux cas (individu, catégorie) le jugement est vicieux. D'une part, parce que les caractéristiques attribuées ici à des catégories ne peuvent, en vérité, appartenir qu'à des personnes singulières : elles relèvent en effet de la conscience et de la libre décision de chacun. C'est toujours de moi comme personne consciente singulière qu'il dépend d'être voleur ou non, et cela quel que soit le groupe social, religieux, ethnique, etc. auquel j'appartiens ; c'est donc seulement par la connaissance de mon comportement que l'on pourra juger à bon droit si je suis voleur ou non (idem pour ma pratique de l'hygiène). D'autre part, parce que ces caractéristiques ne peuvent être possédées par les personnes singulières comme des acquis définitifs, immuables et assurés, mais dépendent pour ainsi dire à chaque instant de leur libre détermination : on ne peut donc savoir d'avance si elles les conserveront. Il en va différemment de raisonnements tels que « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel ». Cette fois le caractère « mortel » peut bien être attribué sans absurdité à l'espèce humaine en général (ce trait ne dépend de rien d'individuel), ce qui autorise à juger d'avance (sans attendre sa mort) que Socrate est mortel, sans qu'il s'agisse là d'un préjugé. L'affirmation « tous les hommes sont mortels » n'est pas, elle non plus, un préjugé mais un présupposé, c'est-à-dire une affirmation posée au point de départ d'un raisonnement. Même si la question de sa légitimité se pose elle aussi, le présupposé diffère du préjugé d'une part en ce qu'il porte sur des concepts (plutôt que sur des personnes), d'autre part en ce qu'il peut être connu comme tel, et être admis comme une hypothèse ne faisant pas l'objet d'une adhésion évidente et immédiate. En somme, l'un des principaux intérêts d'une réflexion sur le préjugé pourrait bien être de faire ressortir la spécificité des caractéristiques morales : celles qui, au sens large, qualifient le comportement de l'homme. |
C'est donc la raison qui peut et doit parler de la raison et de la croyance, ce qui semble être le signe d'un décalage initial entre les deux notions. Ce décalage semble placer la croyance, pour ainsi dire, en contrebas de la raison, en situation d'infériorité. Cette infériorité consisterait avant tout en ceci, que la raison permet de chercher et éventuellement d'atteindre le savoir et de discerner ce qui est réel, tandis que la croyance ne procure qu'une assurance subjective, dont le bien-fondé est le plus souvent invérifiable, portant sur des objets à l'existence douteuse. La croyance serait par définition irrationnelle, et de surcroît, fort souvent déraisonnable : domaine sans loi où tout est possible, et dont les habitants semblent ne pouvoir être que des enfants ou des fous, l'univers de la croyance se distinguerait à son désavantage du monde de la raison, habité par des hommes adultes et lucides. Suggérons simplement cette autre piste, largement moins fréquentée que la précédente : n'y a-t-il pas des choses telles que la croyance serait le seul rapport logiquement possible avec elles ? Des choses telles, par conséquent, qu'à l'inverse il serait irrationnel de prétendre les comprendre et les dominer au moyen de la raison ? C'est avant tout, semble-t-il, dans le domaine des rapports entre les personnes que ces questions se posent. Certes, ces rapports supposent toujours un dialogue, qui ne peut être véritable sans la pratique et le respect des exigences de la raison. Mais ces dernières, à leur tour, ne supposent-elles l'existence de personnes libres, qui donnent leur parole non seulement comme quelque chose à comprendre, mais aussi et peut-être surtout comme quelque chose à croire ? |
La simplicité s'oppose ordinairement à la complexité (ce qui est simple, c'est ce qui n'est « pas compliqué », pas ambigu) et à la multiplicité (ce qui est simple, c'est ce qui est un). Les deux aspects sont d'ailleurs liés, complications et ambiguïtés ne pouvant survenir que là où intervient une pluralité d'aspects ou d'éléments. Pourtant, il se pourrait bien qu'il faille distinguer au moins deux grandes formes de simplicité ; et du coup, d'une façon à la fois logique et un peu paradoxale, ni la compréhension ni la mise en pratique de la simplicité ne seraient une affaire simple... La première forme de simplicité consiste dans le caractère immédiat de ce qui détermine la conduite et la pensée ; en ce sens, ce qui est simple, c'est ce qui est tout « naturel », ce qui va de soi, ce qui s'impose comme seule possibilité. Ainsi la vie de l'animal est-elle simple, en ce sens qu'elle est tout entière orientée vers quelques buts très peu nombreux, et que l'animal est pourvu d'emblée, immédiatement, des moyens nécessaires pour les atteindre. Sans doute cette grande simplicité de la vie est-elle rendue possible par le bon fonctionnement d'organismes qui sont, en eux-mêmes, d'une extrême complexité... mais cette dernière est pour ainsi dire oubliée, laissée de côté par le vivant, elle n'est ni élaborée ni prise en charge par lui. De façon analogue, dans l'ordre de la pensée, la simplicité consiste d'abord dans l'engendrement et l'expression d'opinions, c'est-à-dire de pensées reflétant immédiatement des désirs ou des « faits » perçus comme « évidents », s'imposant tout « naturellement ». Il suffit pourtant de se demander si « être sage » et « vivre comme un animal » sont bien une seule et même chose, pour s'apercevoir que cela est loin d'être si simple. Certes, on peut penser que la perfection du comportement consiste à discerner et à respecter l'essentiel, en écartant le superflu, le surajouté, l'artificiel ; et certes, la perfection de la pensée réside sans doute dans une compréhension du vrai ayant la forme d'une intuition accueillant une évidence, plutôt que dans un cheminement laborieux et plein de détours au milieu d'innombrables raisonnements. Mais dans un cas comme dans l'autre, la simplicité ne peut être atteinte que comme un résultat (bien loin d'être immédiate et première), résultat obtenu non pas en écartant la complexité mais en passant par elle, et en la surmontant de l'intérieur. Il faut vivre simplement en s'en tenant à l'essentiel : fort bien ! mais qu'est-ce qui est vraiment essentiel ? les besoins organiques ? alors la simplicité, c'est l'animalité et son impitoyable violence. C'est plutôt vivre sans le souci d'avoir et en privilégiant l'être, dignement, dans le respect et si possible dans l'amour, dira-t-on par exemple ; mais qu'est-ce donc en vérité que la dignité, que respecter, qu'aimer ? Est-ce « évident » ? La frontière entre l'avoir et l'être saute-t-elle toujours aux yeux ? Il faut saisir le vrai par intuition sans se laisser égarer et torturer par l'entendement : excellent ! mais comment distinguera-t-on entre l'apparence et l'apparition, entre la pseudo évidence qui masque le vrai et l'évidence comme pleine manifestation de celui-ci ? La vraie simplicité ne pourrait être obtenue que par rassemblement, digestion, unification de l'infinie complexité du travail de la raison, que celle-ci soit théorique ou pratique. C'est la simplicité du sage ou du dieu (voire de Dieu), non celle de la bête – dont le nom est aussi synonyme de stupidité. Tiraillé et errant quelque part entre les deux, l'homme a peut-être pour lot de ne pouvoir jamais atteindre à la simplicité, tout en ayant le devoir de toujours éviter le simplisme. |
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