Avis de lecture
Courtes critiques de livres, assorties d'appréciations sur le niveau de difficulté des ouvrages .
Niveaux de difficulté :
Très accessible
Peu ou pas de vocabulaire technique, ni d'appel à des raisonnements trop étendus ou trop complexes. Particulièrement indiqué pour une prise de contact avec la philosophie, et se préparer à passer au niveau suivant.
Accessible
Toujours abordable pour la plus grande partie du contenu, mais présence de vocabulaire technique et d'élaborations conceptuelles plus poussées. Le non-spécialiste aura donc affaire à un mixte de clartés et de zones d'ombre... ce qui est excellent pour progresser.
Exigeant
La proportion s'inverse par rapport au niveau précédent : importance du vocabulaire technique, caractère "abstrait" et spéculatif de la pensée sont dominants. Pour le profane (voire pour les autres!), les zones de clarté se raréfient sans toutefois disparaître complètement.
N.B.: pour remédier au caractère formel de cette classification, on pourra proposer pour certains ouvrages des indications mixtes: "très accessible/accessible" ou "accessible/exigeant".
Jean-François Braunstein, La philosophie devenue folle. Le genre, l'animal, la mort, Paris, Grasset, 2018 Niveau de difficulté : accessible L'intérêt principal de cet ouvrage est de faire connaître certains des courants de pensée actuellement parmi les plus influents et les plus problématiques, essentiellement représentés par des auteurs anglo-saxons (J.Money, P.Singer, J.Butler, D.Haraway...), en s'appuyant sur de nombreuses citations et références. Comme l'indique le sous-titre, trois thèmes majeurs sont abordés. Sur le premier, le genre, sont clairement exposées différentes thèses, plus ou moins radicales mais convergentes, qui visent à nier le caractère naturel de la différence sexuelle entre homme et femme, tantôt seulement dans ses aspects comportementaux, tantôt dans sa réalité physique même. Sur le second, l'animal, sont rapportées les tentatives de nier l'existence d'une différence radicale entre l'homme et l'animal (« antispécisme ») et d'en tirer des conséquences juridiques et morales. Le point le plus essentiel, et éventuellement le plus inquiétant, à cet égard, est la question de savoir s'il nous est proposé de traiter désormais les animaux comme des hommes... ou de traiter les hommes comme des animaux. Que penser par exemple de la proposition de P.Singer d'utiliser des enfants orphelins, ou des handicapés mentaux, comme cobayes d'expériences scientifiques, à la place d'animaux ? De la proposition de ce même auteur d'abolir ces « tabous » que sont, selon lui, l'interdit de la zoophilie et celui de la pédophilie ? Quant au troisième enfin, la mort, on découvre non sans stupeur et inquiétude que la définition même de cette notion peut faire l'objet de manipulations (via le concept de « mort cérébrale ») à des fins commerciales, ou soi-disant morales, de récupération d'organes. Et conjointement, que certains prétendent sérieusement s'arroger le pouvoir de décider qui a le droit de vivre ou non : ainsi l'infanticide, délicatement rebaptisé « avortement post-natal », trouve-t-il des partisans.
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Olivier Rey, Leurre et malheur du transhumanisme, Paris, Desclée de Brouwer, 2018 Niveau de difficulté : accessible Qu'est-ce que le transhumanisme ? En quoi ce qu'il propose et prédit a-t-il de quoi éveiller les plus profondes inquiétudes ? Ce petit livre dense et documenté offre de précieux instruments pour réfléchir sur ce courant contemporain, et se donne les moyens d'un véritable recul critique en utilisant de façon claire mais rigoureuse les ressources de la philosophie (Kant, Saint Thomas d'Aquin, Aristote entre autres).
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Dominique Folscheid, Made in labo, de la procréation artificielle au transhumanisme, Paris, Cerf, 2019.
Niveau de difficulté : accessible Le transhumanisme est un courant de pensée qui met gravement en danger l’humanité même de l’homme ; et sa mise en œuvre concrète n’est pas à redouter dans un avenir plus ou moins lointain : en vérité, elle a déjà commencé. Telles sont les deux idées maîtresses de cet ouvrage intelligent et fort éclairant. |
Rémi Brague, Les Ancres dans le ciel, Paris, Flammarion, coll."Champs essais", 2011 Niveau de difficulté : accessible Ce petit livre recueille les textes d'une dizaine de conférences centrées sur le thème de la métaphysique. Les questions abordées sont donc à la fois « abstraites », fondamentales et difficiles : l'être, l'existence, Dieu, le sens de la vie... Mais comme l'indique le beau titre de l'ouvrage, il s'agit justement de montrer que ce qui semble le plus éloigné de nos soucis communs est, en vérité, directement en jeu en ceux-ci, à titre de fondement et de source de lumière. L'existence humaine est un navire évoluant entre terre et ciel, mais à rebours de nos évidences immédiates, c'est la première qui est flottante et le second qui offre sens et fermeté. Notre attitude face à la vie, face aux autres et à nous-même, notre appétit de vivre ou notre tentation du suicide (comme individu ou comme espèce) dépendent des convictions plus ou moins confuses qui sont les nôtres à propos de l'absolu, de l'essence ou du néant. Ce petit livre nous aide à les discerner et à les clarifier, par ses réflexions propres comme par ses références remarquablement maîtrisées à de nombreuses doctrines philosophiques. En mettant son immense culture à notre portée et à notre service, l'auteur contribue ainsi de belle façon à faire en sorte que le plus fondamental ne soit pas aussi le plus inaccessible. |
Rémi Brague, Du Dieu des chrétiens et d'un ou deux autres, Paris, Flammarion, Champs-essais, 2009 Niveau de difficulté : accessible Façonnée par trois siècles de discours anti-religieux, et dépourvue par rapport à ceux-ci de véritable recul critique, l'opinion courante est désormais pleine d'ignorance et, pire encore, d'idées fausses à propos du christianisme. Ce livre, qui parvient à combiner une immense érudition et une grande clarté, rétablit la vérité sur le contenu de cette doctrine, et réveille la réflexion sur de nombreux points importants, qui touchent aussi bien à la question de ce qu'est Dieu en lui-même, qu'à celle de la nature profonde des relations entre Dieu et l'homme. Ainsi sont examinées et méditées : la notion de foi, à ne pas confondre avec la simple croyance ; celle d'unicité de Dieu, qui, distinguée de la simple unité, permet de comprendre ce qu'il y a d'abusif à regrouper le christianisme, le judaïsme et l'islam sous l'appellation commune de « monothéisme » ; celle de paternité divine (en quel sens le Dieu chrétien est-il Père ?), souvent et trop vite confondue avec celle de virilité, ce qui entraîne bien des erreurs et des confusions à propos de la conception chrétienne de la sexualité. Soulignons enfin, en particulier, les pages très éclairantes consacrées aux notions chrétiennes de péché et de pardon, leurs significations respectives et le lien substantiel qui les unit. |
Claude Bruaire, La dialectique, Paris, PUF, coll. "Que sais-je?", 1985 Niveau de difficulté : accessible/exigeant Le titre laisse présager une étude austère, réservée aux initiés, portant sur une notion inusitée dans le langage courant et soulevant des problèmes complètement étrangers à notre existence concrète. Or il n'en est rien. Comme le montre l'auteur, en se référant de façon rigoureuse mais claire aux grandes doctrines (Platon, Aristote, Kant, Hegel, Feuerbach, Marx), la notion de dialectique touche directement à notre existence d'êtres pensants et agissants ; sa parenté étroite avec la notion de dialogue en est un indice. D'une part, il s'agit avec la dialectique de la recherche de la vérité au moyen du discours rationnel, de sa possibilité et de ses embûches. D'autre part, il s'agit de nos rapports avec les autres, la nature, la réalité en général. Si nous n'y prenons garde, ce ne sont pas seulement nos idées qui risquent de s'abîmer en des voies sans issue, sans trouver ni équilibre ni consistance, mais notre vie elle-même. |
Claude Bruaire, Une éthique pour la médecine, Paris, Fayard, 1978 Niveau de difficulté : très accessible/accessible Comment y voir clair dans les questions d'éthique ou de morale, que soulèvent tout à la fois l'augmentation spectaculaire de nos capacités techniques dans le domaine bio-médical, et l'évolution non moins profonde et soudaine de nos désirs et réclamations ? La raison philosophique, ici, peut et doit intervenir. Elle seule peut mener à bien cette double tâche, et préserver ainsi la pensée et l'action de la contrainte des préjugés ou des fantasmes : d'une part, dégager méthodiquement et clairement les positions de principe qui sous-tendent (bien souvent implicitement) nos pratiques ; d'autre part, inversement, déduire tout aussi rigoureusement ce qu'impliquent, comme conséquences pratiques, les principes ou croyances auxquels nous adhérons. C'est ce qu'entreprend l'auteur de ce livre, à propos de questions encore débattues (l'euthanasie, l'attitude devant la souffrance, la maladie mentale, la frontière entre besoin de santé et désir fantasmatique de bien-être...), ou trop tôt considérées comme réglées (l'avortement). Une réflexion accessible et rigoureuse qui apporte à tous (médecins ou non) une clarification extrêmement précieuse. |
Chantal Delsol, Les pierres d'angle (A quoi tenons-nous?), Paris, Cerf, 2014. Niveau de difficulté : très accessible/accessible Le propos est de nous aider, nous autres modernes ou post-modernes, à éviter le nihilisme et/ou le néo-paganisme, après notre abandon du « judéo-christianisme ». Nous sommes invités, dans ce but, à prendre conscience de ce qu'il y a des choses essentielles auxquelles nous tenons, qui prirent naissance dans cette religion, et qui ne peuvent véritablement garder leur sens que dans et par l'atmosphère qu'elle dispense, se trouvant au contraire perverties et dégradées dès qu'on oublie cette origine. Ainsi l'auteur met-elle en avant, souvent avec finesse et justesse, les notions de dignité (dont le critère ne saurait être la sensibilité), de joie (qui ne doit pas se dégrader en simple bonheur), d'espérance en un salut (par opposition à l'attente d'un « progrès » menant au bonheur), de confiance (au rebours du besoin de maîtrise et de certitude, et de la perte du goût de vivre)... Il nous faut, en somme, retrouver le double sens du risque et du mystère, en reconnaissant à nouveau que l'homme n'est lui-même que dans et par sa relation à de l'autre – autre insaisissable, qui ne dépend pas de lui mais dont lui-même dépend. Cette altérité, au bout du compte, a le visage d'un Autre, absolu et transcendant, c'est-à-dire celui du Dieu du christianisme. Mais la nature, en un sens certes relatif, ne remplit-elle pas les mêmes conditions (elle peut se passer de nous, mais non pas nous d'elle) ? Dans cette mesure, ne peut-elle jouer le rôle d'altérité de transition, sur le chemin nous (re)conduisant à l'accueil de la transcendance ? C'est l'espoir que croit pouvoir placer l'auteur dans le vif intérêt contemporain pour l'écologie – espoir discutable, mais non insensé. |
Jean-Louis Chrétien, Le regard de l'amour, Paris, Desclée de Brouwer, 2000 Niveau de difficulté : accessible/exigeant Cet ouvrage est sans doute l'un des meilleurs de l'auteur, qui n'en commet que de fort bons. Il rassemble diverses études, dont chacune constitue un tout pouvant être lu à part, sur les manifestations et la réalité intime de l'amour. Tant par la qualité de l'écriture que par la profondeur de la pensée, il parvient à nous faire voir d'un regard neuf, surpris et ravi ce qui, trop souvent, ne donne lieu qu'à des discours superficiels et mièvres. Rien de tel ici, contrairement à ce que le titre peut faire craindre un instant, mais une riche et belle substance. Signalons en particulier la magnifique méditation initiale sur l'humilité, discret pouvoir « de tout nourrir et de tout soutenir » ; la très instructive réflexion sur le « danger de la sécurité » et les terribles menaces de la fausse paix ; enfin, la substantielle étude sur la manière unique et éminente dont l'amour connaît et voit. |
Peggy Sastre, La domination masculine n'existe pas, Paris, éd. Anne Carrière, 2015. Niveau de difficulté : très accessible / accessible Comment balayer la Charybde de l'ultra-féminisme et des outrances des « études de genre », sans toutefois tomber dans la Scylla d'un scientisme naturaliste grossier ? Cet ouvrage au titre agréablement provocateur ne ferraille contre le premier monstre que pour s'immoler sans réserve au second, érigé en idole ; ce qui donne à l'ensemble une saveur contrastée. D'un côté, on assiste à une saine réaction contre un discours ambiant désormais très installé, et d'une assez grande misère intellectuelle, sur la « domination masculine », le « patriarcat », etc. La réalité biologique naturelle, dont ces discours nient ou minimisent l'existence et le poids, sont ici mis en avant avec énergie et sans complexe, en particulier sous l'angle des récentes versions de la théorie de l'évolution : de ce point de vue, l'ouvrage est animé par un salutaire souci de retour au réel, par-delà les élucubrations parfois délirantes de la nouvelle bien-pensance. Mais d'un autre côté, faut-il pour autant élever l'évolutionnisme biologique au rang d'explication ultime et suffisante de toute chose ? Rappeler la pesante réalité de la nature est une chose, affirmer qu'il n'existe qu'elle en est une autre. Or, comme le montrent en particulier ses derniers chapitres et sa conclusion, cet ouvrage confond les deux, l'auteur ne craignant pas de s'aventurer hors de son domaine de compétence, avec légèreté et même un soupçon de vulgarité, en décrétant l'inexistence de toute dimension métaphysique spirituelle chez l'être humain. |
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