Robert Redeker, L'abolition de l'âme, Paris, Cerf, 2023.
Niveau de difficulté : accessible
Distinguons dans cet ouvrage deux aspects. D'un côté, nous avons la pensée propre de l'auteur, qui s'attache à montrer les grandes étapes et les principaux signes du refoulement, par la modernité, de la belle et profonde idée d'âme, son remplacement par celles d'ego, de moi ou de mental, et l'extrême appauvrissement qui en résulte pour l'homme et l'existence humaine : rien de moins qu'une déshumanisation de l'homme. Sous ce rapport l'ouvrage abonde en diagnostics lucides, illustrations pertinentes, heureuses formules (p.ex. « le mental, c'est l'âme devenue muscle », p.225), et se recommande à l'attention de quiconque tente de prendre un intelligent recul par rapport à l'époque contemporaine.
D'un autre côté, nous avons certaines doctrines philosophiques, auxquelles l'auteur se réfère afin de montrer en quoi, selon lui, elles concourent, ou au contraire résistent, au refoulement en question. Ces références et recours laissent parfois le lecteur insatisfait, par leur caractère allusif et bien rapide au regard de la complexité des matières abordées. Ainsi par exemple, il est d'abord reproché à la pensée heideggerienne du Dasein de dissoudre l'intériorité de l'homme, réduisant l'être essentiel de ce dernier à la seule dimension de l'extase – laquelle, par son caractère exclusif, s'apparenterait alors à une sorte d'évaporation dans l'extériorité ; thèse a priori intéressante et recevable, mais qui réclamerait développements, précisions et confirmation. Puis il est salué en Heidegger un « libérateur » qui, moyennant une « déconstruction » bien comprise, aurait su décaper l'être de l'homme des sédiments « ontologisants », c'est-à-dire, croit-on, chosifiants, dont l'aurait affublé peu à peu la « métaphysique » : ce qui ferait de ce penseur une aide précieuse pour retrouver le sens vrai de l'idée d'âme, et les infinis bienfaits qui en découlent.
Or il nous paraît qu'en cela une contradiction se fait jour, et qu'un point important manque d'être questionné, alors qu'il touche – c'est pourquoi nous nous y arrêtons – à l'essentiel du propos de l'auteur. La contradiction consiste en ceci, que c'est en vérité une seule et même chose qui est à la fois critiquée et approuvée, par l'auteur, dans le discours heideggerien : car l'absence d'intériorité du Dasein (critiquée) n'est précisément rien d'autre que son manque de consistance ontologique ou de substantialité (approuvé). Et le point essentiel demeurant ininterrogé est justement celui-ci : l'identification précipitée et fort discutable de la substantialité et de la choséité, qui conduit le penseur allemand à proscrire la première afin d'éviter l'enfermement en la seconde, jetant ainsi le bébé avec l'eau du bain.
Autorisons-nous pour finir une suggestion : la belle et stimulante tentative de R. Redeker nous paraît digne d'être complétée, et le cas échéant, sur ce point que nous croyons décisif, rectifiée, par la prise en compte de la pensée de Claude Bruaire (particulièrement dans L'être et l'esprit) – pensée étonnamment laissée de côté par un ouvrage qui en partage si visiblement les intentions et le souci. |