Une définition
basique semblerait être que le risque est le fait de se mettre en danger, en
situation de perte de stabilité, d’assurance. De fait, cela apparaît impliquer
une volonté de sortir du connu, du maîtrisé (ou supposé tel), de se placer en
situation de précarité, de dépendance à une situation extérieure. En effet, la
notion de risque dépend de la perception qu’a le sujet de sa de perte de
contrôle sur sa situation. Tout peut être risque : traverser une rue, descendre
un escalier, continuer de vivre sur cette planète qu’une météorite géante
pourrait percuter à chaque instant ! Le risque zéro n’existe donc pas. Vivre,
c’est risquer sa vie. Pour autant, confronté au risque non choisi, ou sous sa
menace, l’individu social occidental se prémunit par l’assurance sinon contre le
risque, du moins contre les conséquences matérielles du risque. Il y est même
contraint par la loi, l’homme étant un risque pour l’homme. L’objectif semble en
être que le seul risque toléré ou accepté soit le risque décidé, la « prise de
risque ».
Dans ce domaine, il est généralement admis qu’un risque peut être
dit mesuré en fonction de nos connaissances collectives et individuelles du
monde qui nous entoure, ou au contraire être déclaré insensé. C’est donc
l’évaluation du risque par rapport à notre situation de départ qui nous fait
passer du risque nécessaire (il faut bien vivre) au risque volontaire, décidé.
La décision ou non de risquer met en équilibre d’un côté la prudence et de
l’autre la témérité (lat. temerarius, temere : au hasard). La prudence, mère de
sûreté, appellerait à se préserver en toute chose et à éviter de perdre par le
risque ce que l’on a acquis dans l’existence, et en premier lieu l’existence
elle-même. La témérité, à l’inverse, fait fit des acquis éventuels comme des
conséquences et met au centre l’assertion du désir ou de l’inclinaison immédiate
du sujet (« Où il n’y a point d’assertion, il n’y a point de témérité » J.J.
Rousseau).
L’évaluation du risque et donc la proportion de prudence et de
témérité dans une prise de risque ou son refus semblerait être un juste
équilibre entre l’apathie mortelle et la folie destructrice. Une prudence
excessive ferait de l’être un individu dénué de choix, privé d’énergie et de
mouvement. A contrario, un téméraire acharné risquerait sa vie à chaque instant
pour la moindre lubie.
Encore faut-il définir à quel moment le risque est réel et/ou
proportionné. Quel rapport en effet entre le risque pris par le Trader de Wall
Street qui investit sur une intuition le capital complet d’un groupe bancaire,
incluant les retraites et l’épargne des petits cotisants, et celui de l’individu
qui plonge du Brooklyn Bridge à la rescousse d’un candidat au suicide ou d’un
funambule inconscient ? On se mettra sans doute à parler de courage plutôt que
de témérité quand le risque pris s’appuie sur des valeurs éthiques ou morales
collectives : sauver sa vie ou celle d’autrui, partir soigner sous les
bombardements les civils blessés de la bande de Gaza, … à l’opposé, le lâche
serait celui qui, par crainte de déplaire à sa hiérarchie, enverrait un dernier
convoi de juifs à la mort en août 1944.
La prudence et le refus de la prise de risque en général ne peuvent
probablement que s’accompagner d’une vision passéiste et d’une crainte de tout
ce qui engage le sujet sur une voie nouvelle et inconnue. Ils se fondent sur
l’expérience de la peur et la préservation de ce qui est pensé « déjà acquis ».
Comment imaginer un Picasso, un Machiavel ou un Rimbaud mû par la prudence ?
Mais en même temps, la prise de risque inconsidérée, vouée à l’échec, ou le goût
du risque basé sur le désir de se placer en situation de quasi rupture avec la
vie (l’escalade du K7 en solitaire sans ravitaillement ?), de tout jouer sur un
coup de dés, appelle parfois la réflexion que l’être ne se fait peur pour se
sentir vivre.
Pour conclure, bien que la prudence et le refus de la prise de
risque apparaissent dans un premier temps profitables à la préservation de
l’existence, c’est pourtant la prise de risque qui semble être dans la
créativité, l’énergie, l’agir, bref : le « vivre », contre le suivisme,
l’apathie, le passéisme, l’idéalisation de l’avenir. Alors la prise de risque
idéale, le courage (?) n’impliqueraient-ils pas d’accepter de douter et de
tenter toujours d’aller au bout de ses interrogations plutôt que de se contenter
de ce qui semble posé au départ ?