Obéir, c’est
consentir à se plier à la volonté d’autrui, comme l’enfant obéit à un parent, le
sujet au seigneur, l’individu à la loi. Cela semble donc indiquer qu’il y a dans
toute forme d’organisation sociale des rapports d’autorité, que l’établissement
de cette autorité soit consenti par les divers partis ou tacite. Bien qu’il soit
écrit ici « par les divers partis », l’obéissance consisterait plutôt en réalité
en l’acceptation de l’autorité par celui qui est en position de subordonné. En
effet la loi ne changera pas que je lui obéisse ou non. L’obéissance ne s’impose
pas, elle ne peut qu’être consentie.
Si l’enfant, le sujet ou l’individu obéit, c’est donc qu’il
reconnaît (au mieux) ou accepte (faute de mieux) l’autorité bien qu’elle soit la
marque d’une privation de sa liberté de choix. L’obéissance implique donc une
légitimité de l’autorité qui apporterait respectivement la possibilité de
survivre, la protection, et donc, à contrario de ce dont elle prive, l’assurance
d’une certaine liberté. En effet, si l’anarchiste revendique la liberté absolue
de chaque individu, il ne dit en rien comment l’homme pourrait survivre hors de
toute forme d’organisation sociale sans retourner au stade de l’animal.
Pour autant, toute forme d’obéissance est-elle souhaitable, ou même
acceptable ? Quand on parle d’obéissance aveugle il semble bien que les
frontières du raisonnable et du raisonné aient été franchies. Le sujet de
l’obéissance n’aurait-il pas alors abandonné le minimum d’esprit critique qui
lui évite de se placer en situation d’esclave, au point parfois d’accepter de
réaliser des actes en opposition flagrante avec ses propres valeurs ? Ainsi,
l’expérience du psychologue Américain Milgram qui demandait aux sujets de son
enquête placés sous une autorité universitaire scientifique qu’ils
reconnaissaient comme légitime, de délivrer à des apprenants adultes des
décharges électriques de plus en plus violentes. Ainsi également les milliers de
soldats enrôlés dans les forces nazies et qui torturaient quotidiennement
communistes, homosexuels et juifs sans forcément être d’avis qu’ils n’étaient
pas des être humains ou méritaient un tel traitement. N’est-ce pas pour une
bonne part la peur d’être exclu du groupe dominant ou de la société à laquelle
on appartient qui est à l’origine de tels agissements ?
Ainsi, dans les deux exemples proposés ci-dessus, ne serait-ce pas
plutôt désobéir qui permettrait de préserver les droits collectifs ? Cela est
d’ailleurs revendiqué dans la première constitution démocratique au monde, la
Constitution des Etats-Unis d’Amérique, qui dans son article 2 prône le recours
aux armes du peuple pour se protéger du tyran. La désobéissance serait donc la
marque de la liberté de l’individu ou d’un groupe d’individus face à
l’imposition de valeurs sociales, morales et religieuses. Désobéir serait
affirmer que je ne trouve plus de légitimité à ces « valeurs » ou au contraire
que ces valeurs ne sont pas vraiment portées par ceux qui les représentent.
Si, par exemple, j’accepte et revendique comme une marque de la
démocratie que le peuple élise ses députés pour le représenter et être garant de
ses libertés, alors il m’apparaît indéniable que les députés ayant voté la
Constitution Européenne simplifiée de Lisbonne sont illégitimes. Il le sont en
effet parce que le peuple s’était auparavant exprimé contre ce même texte par
référendum. La démocratie a été usurpée, confisquée et elle n’est donc plus. Le
respect de l’esprit de la démocratie exigerait de ne plus accepter les décisions
que ces élus prennent en son nom même. La démocratie exigerait la désobéissance
civique ?
Pour conclure, obéir, n’est-ce pas toujours aliéner une partie si
infime soit-elle, de sa liberté, et donc cesser d’être un individu à part
entière, responsable de sa vie ? Même si Rousseau affirmait qu’obéir à un
contrat social c’est amputer une partie de sa liberté individuelle au profit
d’une liberté collective préservant du droit du plus fort, qu’il s’agit pour
l’homme de « trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la
force commune la personne […] et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse
pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant », il n’en
demeure pas moins que l’homme s’impose alors une contrainte. En revanche,
l’obéissance n’est-elle pas dépassable à tous points de vue pour l’individu
éclairé, celui qui ressent fondamentalement qu’il est constitué des valeurs
inaliénables que sont la liberté, l’égalité, le respect des éléments qui
constituent son environnement naturel et donc les conditions mêmes de son
existence ? Dépasser l’obéissance serait donc éduquer l’enfant, chercher l’homme
et non contraindre l’animal.