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Le mal

   Plus peut-être que toute autre notion, le mal se présente spontanément à nous comme une question, une question dont l’acuité semble n’avoir d’égale que la difficulté d’y répondre : pourquoi le mal ? Dans une vision religieuse du monde et de l’homme, la question se double d’un scandale : si Dieu existe, s’il est bon et tout-puissant, comment accepte-t-il la présence du mal dans sa création ? Ou, sur un mode plus révolté, Dieu peut-il exister lorsqu’un enfant souffre ? La Bible enseigne que Dieu ne “tolère” pas un mal qui lui serait étranger (diabolique ou purement humain), mais qu’au contraire il en est lui-même la cause directe : « Je fais le bien et je crée le mal, c’est moi, Yahvé, qui fais tout cela. » (Isaïe, 45, 7) Autrement dit, le mal n’est pas, dans la Bible, une simple possibilité de la liberté accordée par Dieu à l’être humain. Ce dernier est alors appelé à s’en remettre à la justice divine, dont les modalités “terrestres” ne sauraient lui être entièrement dévoilées.

   D’après une conception plus laïque du monde des hommes — le bien et le mal ne pouvant exister ailleurs que chez l’être humain —, le mal semble prendre deux formes :
-  le mal “moral”, qui correspond à une infraction à la conscience morale, et dont nous pourrons nous demander s’il se réfère à une norme universelle dans le temps et dans l’espace.
-  le mal “social”, qui correspond à une infraction à la loi civile, et dont on peut noter, avec certitude cette fois, la relativité historique et géographique. L’esclavage, pratiqué par exemple par les brillantes sociétés grecque et romaine, et justifié sur le plan éthique par des philosophes de premier ordre, illustre bien cette relativité. Mais si ce type de mal est puni juridiquement, à l’inverse du précédent, c’est qu’il est considéré avant tout comme manifestement et collectivement nuisible : ce n’est pas seulement à sa ou ses victimes directes que le coupable fait du tort, c’est à la société tout entière (chacun a fait l’expérience, en revanche, des bienfaits de certains actes considérés, sans doute à juste titre, comme moralement “mauvais”).

   Se pose alors ici la question de la nocivité du mal. La langue semble indiquer que le mal est par nature “mauvais” (c’est l’adjectif qui lui correspond). Ne le serait-il pas au même titre que peuvent être “mauvais” une odeur, une nouvelle ou les résultats d’une élection, c’est-à-dire simplement déplaisants ou nuisibles ? Peut-on d’ailleurs concevoir un mal qui ne serait préjudiciable à personne, pas même à celui qui le commet ? Des mots comme malentendant ou malchance, ou plus simplement l’expression avoir mal confirment peut-être cette hypothèse, car ils ne comprennent précisément en eux rien de moral.

   Le mal ne serait-il donc que le nuisible ? Ou faut-il conserver la référence à un principe moral absolu qui, au-delà des divers avatars et figures “historiques” du mal, exigerait de l’homme une obéissance impérative et catégorique ? La question centrale du mal n’est donc pas, au bout du compte, « pourquoi le mal ? », mais « qu’est-ce qui est mal ? ».

Marc Anglaret

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