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La superstition Quest-ce quêtre
superstitieux ? Les exemples triviaux ne manquent pas : croire quun fer à cheval ou
un trèfle à quatre feuilles « portent bonheur », que passer sous une
échelle ou briser une glace « portent malheur » ; faire un signe de croix en
entrant sur un terrain de foot, ne pas prononcer le mot « lapin » sur un
bateau, etc. En somme, lattitude superstitieuse consisterait à établir un lien
entre un objet, un geste ou un mot, dune part, et un événement futur, soit
espéré soit redouté, dautre part. Et ce lien se présenterait plus précisément
de la manière suivante : lobjet (ou geste, ou mot) serait soit le signe que
lévénement va avoir lieu, soit le moyen de le provoquer ou de lempêcher. Ce qui frappe immédiatement, cest labsence de tout rapport intelligible entre le signe et lévénement, considérés en eux-mêmes. Par exemple : quel lien logique établir entre le fait que je passe sous une échelle, et le fait que jai un accident de voiture ? Ou entre laspect des entrailles de tel animal, et lissue victorieuse dune bataille ? Au mieux, la connexion sera toute psychologique : en croyant au présage de léchelle, je mattends à un malheur, je deviens fébrile, jinterprète les événements à mauvais escient, si bien que je conduis mal, augmentant effectivement mes chances davoir un accident ; ou croyant au présage favorable des entrailles, jen retire une confiance et une ardeur au combat qui, de fait, peuvent me rendre victorieux. Dailleurs le résultat inverse est tout autant possible : rendu excessivement confiant par laspect des entrailles, je peux agir avec une témérité insouciante qui me perdra ; et la crainte que minspire le présage de léchelle peut induire en moi une extrême prudence, qui me préservera de laccident. Mais dans tous les cas, les véritables causes ne sont pas là où la superstition les place : par exemple, si jai bien un accident,. la vraie cause en est ma fébrilité, et si je suis victorieux, la raison en est mon ardeur au combat ; quant à léchelle ou aux entrailles, cest moi qui ai fait de lune, la cause de ma fébrilité, ou de lautre, celle de mon ardeur. Il en ressort un premier point : la superstition, en interposant entre moi et le monde des « puissances » mystérieuses dont tout dépend, irait à lencontre dune véritable compréhension des règles de laction ; elle conduirait à lutilisation de moyens tout à fait inadéquats (car, par exemple, le bon moyen pour éviter les accidents de la route nest pas daccrocher une patte de lapin à son rétroviseur, mais de conduire prudemment). Par là, elle paraît priver laction à la fois de son autonomie et de son efficacité. Et puisque, dans le même temps, elle nuit à la connaissance des causes, la superstition sopposerait tout ensemble à la science et à la technique. Mais lon remarque en outre que la superstition intervient là où existent des espoirs et des craintes, qui sont toujours relatifs à lintérêt, soit de lindividu, soit de la collectivité : la sécurité, la santé, la richesse, la réussite pour soi et les siens... et éventuellement, la déconfiture, la maladie ou pire encore pour tel autre et les siens ! Cest seulement par rapports à de tels soucis que sont définis (consciemment ou non) le favorable et le défavorable, ce qui doit être provoqué et ce qui doit être évité. On voit alors que la superstition nest pas seulement définie par la manière dont elle conçoit lutilisation des moyens, mais aussi et peut-être surtout par le genre de fins ou de buts dans la poursuite desquels elle intervient. Ce second point permet dengager une réflexion sur les rapports entre superstition et religion. Est-ce une seule et même chose, comme lathée sera volontiers tenté de le dire ? Ou, ce qui revient à peu près au même, la « superstition » nest-elle que le terme péjoratif que chaque religion utilise pour dévaloriser les autres (chacun ayant tendance à juger que sa religion est la vraie, et que les autres ne sont que tissus de superstitions) ? Ou bien, faut-il reconnaître une différence réelle entre superstition et religion, et donc se garder de les confondre, la première étant une version dégradée et caricaturale de la seconde ? Si lon considère que toute religion est inventée par lhomme en vue de ses intérêts, et que son but ultime est de lui procurer ce quil désire et de le protéger de ce quil redoute, lon tendra logiquement à ne voir aucune différence substantielle entre superstition et religion. Si en revanche, lon pense que la religion, ou du moins que certaines religions ont pour sens et pour but délever lhomme au-dessus du souci pour son intérêt, quelles ne sont pas des recettes pour obtenir ce que lon veut, mais des invitations à opérer une révolution intérieure, et à entrer en lutte avec soi-même, alors, on hésitera à assimiler superstition et religion. On pourra même considérer que la première est la pire ennemie de la seconde : car en faisant tout reposer sur des éléments extérieurs au sujet (mots, choses, gestes), la superstition détourne celui-ci de ce que toute religion authentique regarde comme lessentiel, à savoir lapprofondissement de lintériorité. En somme, la superstition fait piètre figure : elle invite à viser des buts limités, parfois même fort contestables, et propose en plus, pour les atteindre, des moyens inefficaces ! Gildas Richard |
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