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La liberté

   La liberté s’entend généralement comme possibilité de faire ce que l’on veut. Elle revêt alors deux aspects : 1) tout d’abord, la possibilité de faire ; il s’agit alors de la liberté physique, qui implique seulement l’absence d’obstacle matériel (celui qui est enchaîné est privé de cette liberté). 2) Ensuite, la possibilité de faire ce que l’on veut, et non autre chose ; il s’agit alors de la capacité à décider, à penser et vouloir à partir de soi-même. La liberté prise en ce sens ne se heurte plus à des obstacles matériels : même celui qui est enchaîné la possède, car pensée et volonté ne peuvent être entravées de cette manière.

   Pour être complète, la liberté doit certes être physique et morale. Toutefois, il semble que la liberté morale soit la plus fondamentale : en effet, ma liberté existe bel et bien tant que mon esprit (pensée et volonté) est libre, même si mon corps ne l’est pas ; en revanche, si mon corps est sans entrave mais que mon esprit est privé de liberté, alors, dans la mesure où c’est mon esprit qui guide mon existence, celle-ci ne pourra être considérée comme vraiment libre. C’est pourquoi on peut dire sans exagération que les prisonniers des camps nazis étaient fondamentalement plus libres que leurs bourreaux : les premiers étaient soumis à une captivité physique, les seconds à un emprisonnement spirituel. 

   Mais comment l’esprit peut-il ne pas être libre ? Toute pensée et toute volonté ne sont-elles pas libres ? Impossible à détruire matériellement, la liberté de penser et de vouloir n’est pas pour autant quelque chose que l’on possède immédiatement et sans effort. Au contraire, une pensée ne devient libre qu’en se soumettant à de difficiles exigences, afin de se soustraire à l’empire des préjugés et des impressions ; de la même manière, une volonté n’est pas libre si elle ne s’efforce pas en permanence d’échapper à la tyrannie des envies, des caprices ou des pulsions. La liberté apparaît alors non pas comme une donnée de départ qui serait immédiatement conforme à elle-même, mais comme un résultat à atteindre. Et ce résultat est extrêmement difficile à atteindre, non seulement à cause des obstacles que l’on doit surmonter lorsqu’on veut y parvenir, mais aussi à cause de la tentation qui peut conduire à ne pas vouloir y parvenir, et à préférer renoncer à la liberté.

   Cette dernière idée peut paraître étrange. En effet, pourquoi diable pourrais-je être tenté de renoncer à ma liberté ? Comment pourrait-on vouloir ne pas être libre ? Précisément parce qu’elle est terriblement exigeante, et parce qu’elle me rend responsable de mes décisions, de mes actions et de mes omissions, la liberté apparaît comme un poids. On peut alors être tenté de s’en décharger, en renonçant à décider par soi-même. Ce renoncement peut prendre bien des formes : je peux m’en remettre à mes désirs subjectifs du moment, aux circonstances, à la mode, aux autres... Faisant cela, je reporte la responsabilité de mes actes sur autre chose que moi-même, soit de manière systématique, soit lorsque cela m’arrange. Chacun connaît cela : lorsque l’on a fait quelque chose de mal, on a tendance à « chercher des excuses », qui visent toujours à dire : « ce n’est pas vraiment moi qui ai fait cela, j’y ai été poussé par... ». Curieusement, lorsque l’on a fait quelque chose de bien, on revendique hautement la paternité de ses actes. De la même façon, ne sommes-nous pas souvent plus prompts à exiger des autres le respect de nos droits, que nous ne le sommes à exiger de nous-mêmes le respect de nos devoirs ? Or on ne peut nier qu’il y a là un double jeu, faisant violence à la fois à la logique et à la bonne foi.

   La liberté est tout sauf facile et confortable. Il faut la revendiquer, mais la revendiquer tout entière, en comprenant donc que vouloir la liberté, c’est vouloir la responsabilité et l’inquiétude. Celui qui ne cherche à satisfaire que son bien-être et sa tranquillité doit fuir la liberté, ou ruser avec elle, mais dans tous les cas la trahir.

Gildas Richard

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