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La confiance

   Faire confiance, c’est d’abord avouer que tout ne dépend pas de soi. Confier quelque chose, se confier, se fier : c’est toujours en quelque façon prendre appui sur autre chose que soi-même.

   En ce qui concerne celui qui l’accorde ou la donne, la confiance contient donc un aveu (qui peut rester implicite) de dépendance, de fragilité, d’absence de maîtrise. Cette reconnaissance de non-maîtrise équivaut-elle à un aveu d’infériorité, à une soumission, à une certaine négation de sa propre liberté ? Faire confiance, n’est-ce pas une manière de s’incliner ? Pour y voir plus clair sur ce point, il faut sans doute se tourner vers le destinataire de la confiance et s’interroger sur sa nature.

   A quel genre d’être la confiance s’adresse-t-elle ? Avançons cette proposition : on ne peut parler vraiment de confiance que si l’être auquel on s’adresse a la capacité de décider de son comportement, de ses paroles et de ses actes ; il peut mentir, trahir, se donner une apparence qui travestit ses véritables intentions, il peut aussi ne pas le faire ; et le choix de l’une ou l’autre de ces deux attitudes ne dépend que de lui. La confiance serait ainsi, et tout à la fois, croyance en la droiture de l’autre et prière adressée à l’autre de conserver cette droiture, qu’il est toujours en son pouvoir d’abandonner.

   De ceci découleraient, entre autres, deux conséquences. D’abord, si l’on admet que l’autre, si loin et si longtemps qu’il soit allé dans la voie de la duplicité ou de l’irresponsabilité, peut toujours trouver ou retrouver sa droiture, alors on doit admettre aussi que nul n’est absolument indigne de confiance. Cette dernière, en un sens, serait due à toute personne, plutôt qu’accordée à quelques-unes sous certaines conditions. Ensuite, la confiance est bien moins une abdication de sa liberté à soi, qu’une reconnaissance et une affirmation de la liberté de l’autre ; davantage même, l’on voit mal comment cette reconnaissance ne serait pas elle-même librement effectuée. En faisant confiance, on s’incline bien devant l’autre : mais c’est pour le saluer ; on ne perd rien de sa propre grandeur à avouer celle d’autrui, au contraire.

   Faire confiance, c’est donc reconnaître que l’on ne maîtrise pas tout. Non pas en raison d’une certaine indocilité des choses, ou des événements, mais en raison de l’irréductible liberté des personnes. La confiance permet de comprendre avec évidence que l’absence de maîtrise n’est pas toujours signe d’imperfection. Le monde moderne cherche à supprimer notre impuissance sur les choses, par le savoir scientifique et l’efficacité technique ; mais ne cherche-t-il pas aussi à laisser le moins de place possible à cette autre forme d’impuissance, qui habite la confiance, et qui concerne cette fois les personnes ? L’inclination toujours plus affirmée à traiter tout problème en termes juridiques, l’inflation des rapports contractuels qui amortissent le risque en ménageant la possibilité d’un recours à des institutions, n’en sont-elles pas des signes parmi d’autres ? C’est une méfiance profonde qui semble former aujourd’hui, à bien des égards, la toile de fond des relations entre les hommes. Si c’est bien le cas, ne faut-il pas craindre la disparition des rapports humains les plus essentiels, comme l’amour (qui ne consiste pas seulement à être amoureux) ou le respect (qui ne consiste pas seulement à laisser tranquille) ? De tels rapports sont-ils seulement concevables sans confiance ? 

Gildas Richard

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