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La joie

   Si, dans un monde soumis aux événements, la joie, éclatant et envahissant tout l’être, n’est qu’intermède ou parenthèse (trouée bleue dans un ciel gris, dirait un amateur de métaphores), ce n’est alors qu’une irruption au cœur du morne ou du banal. Mais ne saurait-elle advenir que dans le temps fini, celui des « coups de théâtre », ou peut-elle se présenter sous une forme « rituelle », sans être dénaturée ? La gavotte par exemple, pour les Luthériens comme Bach, est « animée » par le Saint-Esprit ; le Gospel parle, quant à lui, d’une « fontaine jaillissante » ; ou encore la danse des Juifs Hassidim existe par l’Éternel, qui « insuffle » l’art de bondir. Réciproquement, la fête, la danse, etc. sont une forme de dévotion enthousiaste (étymologiquement parlant), par laquelle on rend grâce. Cette joie résiderait dans un temps suspendu, à cheval entre l’instant et l’éternité.
   Quelles sont les caractéristiques de la joie ? Ses sources ou ses effets ?
La joie, soudaine en tout cas, est émotion, sentiment de contentement intense ; elle a une traduction hormonale, des animaux peuvent, semble-t-il, l’éprouver. Pour un cardiologue, ses symptômes sont reconnaissables. Mais quoi de commun entre la joie d’un enfant autorisé à jouer dehors avec ses camarades un beau matin ensoleillé, ou recevant en cadeau de Noël la dernière PlayStation, et les « pleurs de joie » d’un mystique, par exemple ? Je peux être aussi joyeux à l’annonce d’une « bonne » nouvelle, ou parce que je suis tout simplement « de bonne humeur ». La joie humaine serait  radieuse ; accord avec ce qui m’entoure, mais aussi expansion ou dilatation, elle serait contagieuse, car capable de projeter un état intérieur à l’extérieur de soi, donc en un sens « créative » (voir la cantate BWV 147, ce que dit aussi Jean Giono, ou encore chante Charles Trenet). A distinguer de certaines « extases » ou euphories (que l’on peut obtenir par des procédés artificiels). Si elle accompagne souvent une délivrance ou la satisfaction d’une espérance - pensons aux liesses populaires du printemps arabe, par exemple, comme à une réussite quelconque - la joie peut être aussi sans cause évidente, et me rendre dynamique. Auquel cas il arrive qu’on la trouve loufoque, ou déplacée… Pourtant, ce qu’elle révèle dans tous les cas est justement motif de réjouissance, à savoir la récupération (consciente) de forces vitales, soit le sentiment d’un accroissement de ma puissance à agir efficacement et bénéfiquement sur moi-même et dans le monde. Ce qui semble mettre d’accord et le (vrai) philosophe et le clinicien. Et si appétit ne signifie pas toujours joie de vivre (le S.D.F affamé ne mord pas précisément, que l’on sache, la vie à pleines dents), il est admis, a contrario, que l’anorexique vit « au rebours », exerçant une volonté de maîtrise « pervertie » sur son propre corps.
   La joie ne serait-elle que niaiserie grotesque, pour nombre de philosophes ?
Le philosophe peut être vu comme sage serein ; mais aussi comme l’homme durablement joyeux (sans pour autant que cela banalise sa joie). Comment se fait-il qu’à la longue et dans les faits il puisse devenir un être lugubre ou ténébreux (et pas seulement par pessimisme idéologique) ? Risquons alors deux comparaisons : un pêcheur de perles plongeait autrefois, pour survivre économiquement dans l’immédiat, plusieurs fois par semaine en apnée et en profondeur, infligeant à son corps un régime nocif, écourtant ainsi sa vie ; de même qu’un ouvrier imprimeur, naguère, s’exposait aux dangers du saturnisme. Certaines tâches, pour être « essentielles » (à supposer qu’elles le soient) ne laissent pas d’être fatales à ceux qui les remplissent. Ainsi, le philosophe semble être l’homme atteint, affligé par le spectacle d’une condition humaine qu’il a examinée de trop près. La philosophie, censée être rassérénante, serait donc en fait ambivalente, et risquée. Mais il existe une autre explication : pour beaucoup d’intellectuels ou de penseurs, noirceur équivaudrait à profondeur, on serait tenu d’être constamment sinistre, et l’homme joyeux ne serait à voir, dans le meilleur des cas, que comme un clown attachant. Or, n’est-il pas dommage de raisonner de la sorte, si l’on pense que la JOIE traduit un accomplissement, qu’elle consiste dans un sentiment d’exister au plus haut point, et qu’on devrait alors se féliciter de sa manifestation, surtout si l’on ajoute que pour certains audacieux, peut se produire une jubilation au sein même du tragique ?

E.F.

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