Les
adjectifs « féminin » et « masculin » se réfèrent au sexe, aux traits
biologiques qui font qu'un individu appartient à l'un ou l'autre sexe. La
« frontière » entre les sexes est-elle vraiment nette? Il y a des êtres qui se
vivent comme étant d'un sexe différent de celui que la nature leur a donné (pour
des raisons qui peuvent être hormonales, donc « naturelles »). La nature est
plus complexe et moins normative que certains l'aimeraient...
D'autre part cela a-t-il un sens de considérer qu'il y a des femmes
plus féminines (ou plus masculines) que d'autres (et inversement pour les
hommes)? Virilité et féminité sont-elles des données naturelles ou bien des
constructions sociales? Les modèles changent d'une époque à l'autre, d'une
société à l'autre, d'une classe sociale à l'autre...
Ces dernières décennies les sciences sociales ont élaboré la
distinction entre le sexe et le genre. Le sexe se réfère davantage aux
caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des
femmes (« davantage » mais pas exclusivement puisque les remarques qui précèdent
tendent à montrer que même cette dimension « physique » ne va pas de soi...) Le
"genre" sert, lui, à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les
comportements, les activités et les attributs, qualités, vertus qu'une société
considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. Cette distinction rend
compte du fait que la représentation de la différence sexuelle est une
construction historique et sociale:. Cette entreprise à autant une fonction
intellectuelle critique, qu'une fonction politique d'émancipation: la différence
supposée « naturelle » (les femmes sont moins fortes, plus émotives...) est
souvent évoquée pour justifier les inégalités sociales (inégalités de droits, de
traitements...) Comme l'a montré (entre autres) Bourdieu, la domination
masculine est tellement inscrite dans les institutions symboliques (le langage,
l'imaginaire social) qu'elle paraît naturelle même à celles qui la subissent, il
est donc intellectuellement, moralement et politiquement légitime de
dénaturaliser le genre.
Dans le même temps les sociétés occidentales ont évolué du point de
vue de la différence sexuelle et de sa représentation (sous l'effet de la
critique mais aussi d'autres facteurs sociaux qu'il n'est pas lieu d' analyser
ici). Le mouvement global de la modernité est de rendre l'individu auteur de son
identité, d'en faire un sujet qui n'est pas définit uniquement par les
appartenances qu'il subit mais par ses choix. Le genre a suivi cette évolution
d'autant plus qu'il est possible médicalement, aujourd'hui, de choisir son sexe.
Nous avons donc à (ré)inventer les rôles dans la société (évolution du droit
vers l'égalité homme-femme, reconnaissance des droits des homosexuels...), dans
la famille et dans le couple. Cette responsabilité nouvelle est l'autre face de
la crise des valeurs décriée par certains, elle est anxiogène pour les individus
et cause d'incompréhension entre les sexes.
L'égalitarisme pour légitime qu'il soit risque de nous plonger dans
la confusion, c'est à dire dans l'incapacité à faire face à la différence.
Certes la représentation de la différence entre le féminin et le masculin dont
nous héritons est socialement construite, est-ce que cela veut dire qu'il ne
faut plus faire de différence, et que celle-ci n'a pas de sens?
Est-il forcément « réac » de chercher à donner du sens au féminin
et au masculin, de ne pas y voir qu'une réalité biologique contingente mais une
façon d'être au monde? Cela a-t-il un sens de dire que le féminin reçoit et que
le masculin donne, que l'un est mouvement d'intériorisation et l'autre
d'extériorisation? Bien sûr recevoir et donner sont des attitudes et ne sont
donc pas en tant que tels réservés à la femelle ou au mâle. Cela impliquerait
que la différence n'est pas une opposition: il est possible pour l'homme d'être
plus ou moins féminin et inversement pour la femme.
Cela impliquerait aussi que chacun a sa valeur propre: se projeter
vers l'extérieur, agir, transformer n'a pas plus ou moins de valeur que
recevoir, ressentir, être à l'écoute, laisser maturer en soi. N'est-ce pas «la
domination masculine» qui amène à valoriser l'action, et à dévaloriser la
passivité comme n'étant qu'absence d'action? Et si un homme féminin pouvait être
plus qu'un mâle sans virilité? Et si une femme masculine pouvait être plus
qu'une femme qui manque de féminité? Et si chacun pouvait arriver à un équilibre
entre ces deux dimensions de son être?