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Retour au menu Textes & Articles Religion & philosophie On a suffisamment remarqué que la religion1 et la philosophie peuvent être rapprochées, notamment par les questions communes quelles se posent : celles de la place de lhomme dans la nature, du bien et du mal, et dautres encore. En outre, quelques théologiens ont emprunté aux philosophes certains de leurs concepts et de leurs formes de raisonnement, comme saint Thomas dAquin à Aristote. La réciproque existe également, par exemple dans le concept philosophique de Dieu. Enfin, nombre de philosophes se sont réclamés ou se réclament dune religion particulière. Ce sont là quelques unes des raisons de se demander si une philosophie peut être religieuse ou si une religion peut être philosophique2. Bien que la réponse soit évidemment positive pour beaucoup, nous tenterons de montrer ici que la religion comme la philosophie ne peuvent que se perdre elles-mêmes, cest-à-dire renoncer à ce qui les caractérise respectivement, dans une telle union. Pour étayer notre réponse, il nous faudra pour commencer déterminer quelques unes des propriétés spécifiques de la religion dune part, de la philosophie dautre part.
1. Considérations générales sur la religion et la philosophie Il semble que la notion de révélation soit la première spécificité de la religion au sens habituel du terme celui, précisément, de religion révélée3 , dans la mesure où elle est la condition même de la possibilité dune religion : aucune ne prétend en effet être une émanation de lhomme seul ; il faut donc quun principe extérieur à lhumanité soit en mesure de transmettre à celle-ci, quelle quen soit la manière, ce qui définira la religion en question. Cest cette transmission que nous appelons ici révélation. Quant au principe lui-même, les cas du Bouddhisme et de quelques autres religions orientales suffisent à empêcher quon le définisse par le terme de divinité : il y a des religions sans dieu. Mais ces cas ne sont pas vraiment gênants, car on peut se référer plus largement à la notion de sacré ; la religion est alors ce qui met lhomme en rapport avec le sacré4. On peut ajouter que le sacré, bien quil se réfère, selon les religions, à des actions, des choses ou des entités fort diverses, doit être caractérisé dans chaque religion comme un absolu. Autrement dit, la sacralités de ce qui est sacré ne peut pas, à lintérieur dune religion donnée, être discutée, remise en cause ou a fortiori niée5. Il y a plus encore : laffirmation de la sacralité de ce qui est sacré se présente comme le fondement de la religion concernée6, fondement qui, justement parce quil est indiscutable, na pas à être expliqué. Et dans tous les cas, les éventuelles justifications théologiques de ce fondement nappartiennent pas en propre à la religion concernée. Nous voulons dire par là que premièrement, elles sont toujours développées a posteriori, et bien souvent dans un but plus didactique que véritablement religieux. Deuxièmement et en conséquence, elles sont au bout du compte facultatives, au sens où leur absence naffaiblirait pas la religion en elle-même. Troisièmement, elles sont inutiles pour lauthentique croyant dont la foi na nul besoin dexplication. On peut même, dun certain point de vue, les considérer comme nuisibles pour cette religion, dans la mesure où elles paraissent sous-entendre que le fondement de la religion en question ne va pas de soi. Autrement dit, les justifications rationnelles dune religion prennent toujours le risque dêtre perçues comme des aveux de faiblesse dune doctrine qui aurait besoin de se justifier, au sens péjoratif de lexpression.
Que dire, dès lors, de la philosophie ? Pas plus que pour la religion, nous ne chercherons à la définir mais, ce qui sera ici suffisant, à la caractériser. Il semble que lon peut dire de la philosophie lexact opposé de ce qui vient dêtre dit de la religion. Reprenons les points lun après lautre. La seule idée de révélation rendra a priori le philosophe, au mieux, perplexe. Que pourrait en dire en effet la raison, pierre de touche de la recevabilité dune argumentation philosophique ? Descartes ne sy est pas trompé : « Je révérais notre théologie, et prétendais, autant quun autre, à gagner le ciel ; mais ayant appris, comme chose très assurée, que le chemin nen est pas moins ouvert aux plus ignorants quaux plus doctes, et que les vérités révélées, qui y conduisent, sont au-dessus de notre intelligence, je neusse osé les soumettre à la faiblesse de mes raisonnements, et je pensais que, pour entreprendre de les examiner, et y réussir, il était besoin davoir quelque extraordinaire assistance du ciel, et dêtre plus quhomme. »7 Notons que ces lignes ne contredisent en rien les textes où le même Descartes traite de Dieu, des preuves de son existence, de sa nature, et ainsi de suite, par exemple dans les Méditations, puisquil ne sagit pas alors de vérités révélées, mais bien de vérités rationnelles, donc accessibles au philosophe. Autrement dit, la religion et indirectement le passage ci-dessus traitent du Dieu des religions, alors que cest du Dieu des philosophes que Descartes affirme certaines propriétés. Prenant un exemple de vérité révélée, Spinoza va plus loin : « Quand certaines Églises ajoutent que Dieu a pris une forme humaine, jai expressément averti que je ne sais pas ce quelles veulent dire ; et même, à dire vrai, affirmer cela ne me paraît pas moins absurde que de dire que le cercle a pris la forme dun carré. »8 Dune manière générale, nul ne saurait nier que, souvent, les vérités révélées déconcertent, pour ne pas dire plus, la raison. Cela ne signifie pas pour autant que, pour cette seule raison, le philosophe doive les rejeter inconditionnellement. Un tel rejet ne se justifie que pour un certain courant philosophique, à savoir le rationalisme9. Mais pour accepter positivement lidée quune révélation, tout en étant manifestement irrationnelle, est source de vérité, il faudra franchir un pas qui, daprès nous, fait sortir de la philosophie. Le philosophe le plus ouvert aux religions ne peut donc quêtre réservé quant à lidée même de révélation. Comment dailleurs choisirait-il entre les diverses religions ? Le philosophe ne peut, comme le font la quasi-totalité des croyants, adopter une religion uniquement en fonction de la société à laquelle il appartient par sa naissance et par son éducation10. Concernant le contenu des dogmes eux-mêmes, le philosophe devra selon nous adopter la même prudence. On peut sans doute sentendre pour considérer quen aucun cas le philosophe nacceptera une vérité qui, sans être évidente en elle-même, ne saccompagne daucune justification théorique. Or nous avons remarqué précédemment que le fondement dune religion nest précisément jamais justifié a priori ; quand il lest a posteriori, ce ne peut donc être que par une personne qui la au préalable admis sans une telle justification. Comment le philosophe pourrait-il avaliser cette admission ? Comment pourrait-il ne pas dénoncer la justification a posteriori comme une imposture visant à légitimer philosophiquement une prise de position qui ne fut pas, au départ, philosophique ? Le fondement dune philosophie ne saurait être lui-même extérieur à la philosophie. Or la religion, et elle sen félicite, trouve son principe hors de lhumanité, donc hors de la philosophie. Nous reviendrons sur ce point dans la troisième partie de cette étude. De même, le philosophe ne pourra pas ne pas trouver contraire à la philosophie le refus de remettre en cause ou même seulement de discuter de certains dogmes, et singulièrement laffirmation de la sacralité. On objectera peut-être que les philosophes eux-mêmes considèrent parfois certaines de leurs vérités comme indiscutables, sans quon leur refuse pour cela le titre de philosophe. La différence, de taille, est que le philosophe produira toujours, même lorsquil prétend énoncer une vérité indiscutable, une justification théorique laccompagnant ne serait-ce que laffirmation de son évidence rationnelle, qui ne saurait sérieusement valoir pour les vérités révélées. De plus, il ne refusera jamais de répondre à une éventuelle objection11, pour peu quelle soit philosophiquement intelligible, et ne menacera aucun contestataire des flammes de lenfer. On peut donc conclure que sans justification théorique, une proposition, quelle quelle soit, ne peut prétendre être philosophique. Autrement dit, le sens et la valeur de la philosophie ne résident pas moins dans largumentation des thèses que dans les thèses elles-mêmes, ce qui ne saurait raisonnablement se dire de quelque religion que ce soit.
Plus généralement, on pourrait dire que, si la religion est acceptée, elle rend la philosophie, pour une importante partie, inutile. En effet, certains dogmes religieux peuvent être considérés comme des réponses non philosophiques à des questions que se posent aussi les philosophes. Aussi le philosophe qui cherche à répondre, philosophiquement, à ces mêmes questions, entreprend-il une tâche ridicule du point de vue de la religion : sans pouvoir se targuer de la même infaillibilité que les religions, car la philosophie nest quhumaine trop humaine ? , il va chercher des réponses peu fiables et, de fait, ses collègues philosophes ne se priveront pas de les critiquer alors quil en existe déjà, et de beaucoup plus sûres, puisque dessence bien souvent divine, et en tous cas non sujettes à la faillibilité humaine. Il ne restera donc au philosophe quà soccuper de domaines que la religion a bien voulu négliger, car ne touchant manifestement pas, selon elle, au salut de lhomme : lépistémologie ou lesthétique par exemple. Mais pour les questions de métaphysique, déthique, danthropologie au sens large et parfois de politique, le débat doit être considéré, du point de vue religieux, comme clos. A lopposé, on peut considérer que, du point de vue du philosophe, les questions philosophiques nont pour lui de raison dêtre que sil estime quelles nont pas encore reçu de réponse complète et définitive, émanant dune religion quelconque, dun autre philosophe ou de quelque autre source que ce soit. Cest seulement en acceptant cette vacuité que la philosophie a un sens. Au fond, et on le verra mieux dans les deux cas précis étudiés ci-après, pour les philosophes religieux, la philosophie ne peut servir quà redécouvrir par la raison ce que la foi, par le biais de la révélation, a déjà enseigné. Cette conception de la philosophie comme « servante de la théologie », héritée du Moyen-Âge, ne peut pas disparaître si lon admet, avant de philosopher, la vérité dune religion. Et, même si lon fait mine de se défendre dadopter une telle conception, on voit mal comment il en serait autrement : « la vérité ne peut contredire la vérité », et si une vérité est admise au préalable la vérité religieuse , on sait déjà, avant même de commencer à philosopher, que la deuxième la vérité philosophique sera identique à la première ou au moins compatible avec elle ; il reste seulement à trouver des arguments philosophiques pour appuyer cette vérité unique, mais à deux visages. Cest par exemple la position de Jean-Paul II qui ouvre ainsi lencyclique Fides et ratio : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à lesprit humain de sélever vers la contemplation de la vérité »12. Mais si la métaphore est juste, les deux ailes doivent nécessairement voler de manière concordante. Le chemin et le but étant bien sûr déterminés, dès lenvol, par laile de la foi, laile de la raison na plus quà sy plier On pourrait ici nous faire lobjection suivante : certes, si la religion est admise avant que la réflexion philosophique soit engagée, les jeux sont faits, et la philosophie nen sera pas vraiment une, puisque sa fin, dans les deux sens du terme, est déjà connue, et surtout a été déterminée de lextérieur de la philosophie. Mais quest-ce qui empêche un philosophe de découvrir au préalable, par la philosophie, des vérités dont il remarquera ensuite la conformité avec une religion donnée, adoptant ainsi cette dernière après, et non avant, la naissance de sa réflexion philosophique ? Nous ne pouvons ici quacquiescer sur le plan théorique. Si un tel itinéraire de pensée existait, cest sans hésitation que nous lui accorderions le statut de philosophie. Deux remarques simposent toutefois : Premièrement, nous ne pouvons manquer de signaler lextrême difficulté théorique dun tel cheminement, ainsi que limpossibilité pratique de vérifier lordre de ses étapes, telles quelles ont été décrites ci-dessus. Il est en effet indéniable que, dans la quasi-totalité des cas, la religion apparaît bien avant la philosophie dans lexistence dun individu. Lorsque lesprit de ladolescent est suffisamment mûr pour philosopher, la religion y est souvent déjà présente depuis bien longtemps. Il est vrai que certains ont su se dégager de linfluence de léducation religieuse quils ont reçue. Mais on voit bien que, sauf exception rarissime, cest toujours la religion qui précède la philosophie dans lhistoire dun homme. De qui peut-on donc affirmer quil a redécouvert dans la religion ce quil avait découvert dans la philosophie ? Deuxièmement, même si une philosophie parvenait à justifier philosophiquement tous les dogmes voire toutes les pratiques dune religion donnée, cette philosophie naurait quune conformité extérieure et même fortuite avec cette religion, puisque la seule justification véritable dune religion est la révélation et que celle-ci est, par définition, hors de portée de toute justification philosophique. Autrement dit, une telle philosophie ne serait pas vraiment religieuse.
Il faut à présent confronter les analyses générales qui précèdent à des cas concrets qui pourraient sembler les invalider. En premier lieu, pour tester notre thèse selon laquelle il ne peut exister de philosophie religieuse, nous étudierons les textes de deux philosophes en accord avec une certaine religion (en loccurrence le Christianisme). En second lieu, pour vérifier quune religion philosophique est impossible, notre attention se portera sur religion particulière dont certains affirment le caractère philosophique. Une remarque méthodologique simpose ici. Des exemples, aussi nombreux soient-ils, ne constituent pas des preuves en eux-mêmes. Ils ne jouent ici quun rôle dillustration, en vue de rendre concrète notre thèse.
2. Les philosophies de Leibniz et de Kant sont-elles des philosophies religieuses ? Les philosophies religieuses que nous allons maintenant étudier sont celles de Leibniz et de Kant13. Nous ne prétendons pas ici livrer une analyse intégrale de la philosophie de la religion de ces auteurs, mais seulement indiquer le ou les moments où, selon nous, ils ont glissé de lintérieur à lextérieur de la philosophie pour tenter de justifier leur croyance religieuse. Un passage du début du Discours de métaphysique de Leibniz suffira à montrer ce que nous considérons comme une sortie injustifiée hors de la philosophie, injustifiée en ceci seulement quelle prétend prendre place dans une argumentation philosophique, tant dans le problème étudié que dans la méthode adoptée. Cela signifie que, en dehors de son activité philosophique, un philosophe peut fort bien écrire des textes exposant des vérités révélées ou de la littérature, ou quoi que ce soit , à condition quil naffirme ni ne sous-entende quil sagit là de textes philosophiques ; or cest précisément le cas de louvrage évoqué ici, comme lindique clairement son titre. Après avoir défini Dieu comme étant « un être absolument parfait » et expliqué ce quon doit entendre par le concept de perfection, Leibniz conclut « que Dieu possédant la sagesse suprême et infinie agit de la manière la plus parfaite » et « que plus on sera éclairé et informé des ouvrages de Dieu, plus on sera disposé à les trouver excellents et entièrement satisfaisants à tout ce quon aurait pu souhaiter. » Bien quil y ait dans ces lignes matière à de nombreuses objections, nous sommes ici dans la philosophie, précisément parce que ces objections peuvent être elles-mêmes de nature philosophique. Il nous semble en revanche que Leibniz sort de la philosophie lorsquil écrit : « Ainsi, je suis fort éloigné du sentiment de ceux qui soutiennent quil ny a point de règle de bonté et de perfection dans la nature des choses, ou dans les idées que Dieu en a et que les ouvrages de Dieu ne sont bons que pour cette raison formelle que Dieu les a faits. Car si cela était, Dieu sachant quil en est lauteur navait que faire de les regarder par après et de les trouver bons, comme le témoigne la sainte écriture. »14 Limportance de largument de lautorité biblique est ici prépondérante : Dieu a regardé ses ouvrages et les a trouvés bons, car cest ce quaffirment lécriture, qualifiée de sainte sans justification. Or il nous semble que le philosophe nest pas tenu de croire a priori en la divinité de lorigine des Écritures. Mais, une fois admise lautorité de la Bible, le passage ci-dessus ne se prête à aucune objection philosophique : dès lors, il est en quelque sorte infalsifiable au sens que Popper donne à ce terme. Aucun débat philosophique nest plus possible. Le raisonnement de Leibniz, entièrement explicité, est en effet le suivant : 1. La Bible a été inspirée par Dieu. 2. Or Dieu possède toutes les perfections morales, dont celle dêtre vérace. 3. Donc la Bible dit la vérité. 4. Or la Bible dit que Dieu, après avoir créé certaines de ses uvres, vit quelles étaient bonnes (par exemple : « Dieu dit : Que les eaux qui sont sous le ciel samassent en une seule masse et quapparaisse le continent et il en fut ainsi. Dieu appela le continent Terre et la masse des eaux mers, et Dieu vit que cela était bon. »15) 5. Donc Dieu a pu constater, ou plus précisément vérifier, la bonté de ses uvres en les regardant. 6. Donc les choses sont bonnes intrinsèquement, cest-à-dire que la bonté est en elles-mêmes, et non pas extrinsèquement, cest-à-dire seulement parce que Dieu en est lauteur ou la cause. On peut indifféremment inverser lordre des propositions 1. et 2. Il reste que la divinité des Écritures est un pilier de cette démonstration, et donc que sa remise en cause implique celle de tout le raisonnement. Or il semble clair que laffirmation « La Bible a été inspirée par Dieu » nest pas et ne peut pas être une thèse philosophique16, cest-à-dire une affirmation susceptible dêtre fondée et contredite par des arguments philosophiques si du moins on se réfère au sens que Leibniz donne ici au mot Dieu, cest-à-dire au sens religieux. Nous affirmons donc que le raisonnement de Leibniz extrait du Discours de métaphysique nest pas, par son fondement, philosophique, et plus généralement que tout système de pensée fondé sur une quelconque révélation, sans que la raison vienne justifier ce fondement17, ne saurait être qualifié de philosophie. Pour Spinoza en revanche, la question de la divinité des Écritures peut se poser en termes philosophiques, mais en donnant au concept de Dieu un sens qui nest assurément pas le sens religieux. Lorsquil écrit en effet : « ( ) la plupart, en vue de comprendre lÉcriture et den dégager le vrai sens, posent pour commencer la divine vérité de son texte intégral. (Alors que cette conclusion devrait découler dun examen sévère de son contenu.) »18, il est clair que lexpression « divine vérité » est quasiment, sous sa plume, un pléonasme, et donc que cest en examinant le texte biblique lui-même que lon pourra conclure quil dit la vérité ou non , et donc quil exprime la divine vérité. Pour Leibniz, la Bible dit vrai parce que Dieu en est lauteur19 ; cest du moins ce quon peut supposer en labsence de toute autre justification.
Dans La religion dans les limites de la simple raison, Kant va tenter de montrer que le Christianisme nest pas seulement un « religion révélée », étant apparue à une époque et un endroit précis, mais également une « religion naturelle », cest-à-dire, en droit, universelle et mondiale : chaque homme, quelles que soient son époque et sa société, et pour autant quil soit doué de raison, peut reconnaître que les principes moraux enseignés par le Christianisme sont identiques à ceux que sa raison pratique lui dicte. Pour démontrer cette identité, Kant va se livrer à une exégèse détaillée du Sermon sur la montagne20, texte qui contient daprès lui lessentiel des préceptes moraux du Christianisme. Ce que Kant relève notamment dans le Sermon, cest quil enjoint de suivre lesprit de la loi plutôt que la lettre. On retrouve ici la distinction faite par Kant dans les Fondements de la métaphysique des murs entre agir par devoir et agir conformément au devoir. Ainsi du fameux passage : « Vous avez entendu quil a été dit : Tu ne commettras pas ladultère. Eh bien ! Moi je vous dis : quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cur, ladultère avec elle. »21 Kant comprend ces versets comme dénonçant lhypocrisie dune conduite extérieure ou plus précisément physique, seulement conforme extérieurement à linterdiction de ladultère22 consistant à ne pas commettre lacte de ladultère , et qui lenfreint néanmoins si le désir est bien réel. Plus généralement, Kant rappelle que lenseignement du Christ nest pas supposé être différent de la loi hébraïque23, mais quil a interprété la Loi pour montrer sa conformité à la raison pratique : « Car au pied de la lettre, la loi autorisait exactement le contraire »24 de ce quautorise linterprétation du Christ, dit Kant. Remarquons que pour parvenir à la conviction que la Bible est en conformité avec la raison pratique, il a fallu tout dabord que le Christ interprète la loi hébraïque, cest-à-dire quil en révèle lesprit en la débarrassant dune lecture « au pied de la lettre », puis que Kant lui-même interprète les paroles du Christ pour montrer quelles ne sont quune autre formulation, sans doute plus accessible au plus grand nombre, de la loi morale prise en elle-même, énoncée en termes philosophiques. Cest donc au prix de deux interprétations successives celle de la loi hébraïque par le Christ puis celle des paroles du Christ par Kant que lon parvient à montrer la conformité de lenseignement biblique avec la raison pratique. Et cest bien là la première objection que lon peut faire à Kant : une religion naturelle étant universelle, tout homme doit pouvoir accéder aux vérités quelle enseigne. Sil est déjà déconcertant que Dieu transmette aux hommes un texte énonçant une loi morale quil a, de toute façon, inscrite en tout homme possédant la raison pratique, il est encore plus étonnant que ce texte doive dans certains cas lAncien Testament subir tour à tour deux interprétations, dont le moins que lon puisse dire est quelles ne vont pas de soi25, pour au bout du compte énoncer ce que tous savaient déjà avant ! Si lon ajoute que le texte dorigine, supposé être inspiré par Dieu, enseigne selon Kant lui-même des choses opposées selon quon le prend à la lettre ou quon en dégage lesprit, on comprend difficilement la valeur et la légitimité dun tel texte. Kant ne cherche-t-il pas plutôt à asseoir la légitimité de sa philosophie morale sur lautorité du Christianisme ? Sur le plan philosophique, quimporte après tout que la vraie morale, que Kant prétend enseigner, soit ou non celle dune religion institutionnelle, fût-ce la religion dominante ? On peut également contester la prééminence et même lexclusivité que Kant accorde au Christianisme en matière de morale : « Mais, suivant la religion morale (et parmi toutes les religions publiques quil y eut jamais, seule la religion chrétienne a ce caractère) »26 Cette affirmation, écrite entre parenthèses, comme semblant si peu contestable quelle se passe de justification, a évidemment de quoi choquer par son intolérance. Mais elle déconcerte également celui qui a pris note du fait que le Christianisme nenseigne en fin de compte rien de plus que le Judaïsme. Si le Christ, selon ses propres paroles, vient pour accomplir la Loi et les Prophètes27, cest bien quil ny a aucune différence de fond entre le Judaïsme et le Christianisme28. Si différence il y a, ce ne peut pas être une différence telle que le second serait une, ou plutôt la religion morale, ce que ne serait pas le premier ! Plus précisément, pour Kant, si le Judaïsme nest pas une religion morale, cest parce que, comme toutes les religions sauf le Christianisme, il comporte en lui la recherche des faveurs divines. Cette délicate question tourne plus ou moins directement autour de ce quon appelle la morale de la rétribution, cest-à-dire une morale qui affirme que les pieux et les justes sont récompensés et que les impies et les méchants sont punis. Sil est incontestable que la Bible hébraïque enseigne parfois une telle morale29, des livres comme ceux de Job30 et de lEcclésiaste la condamnent catégoriquement31 ce dont Kant ne tient pas compte en remarquant que le juste subit parfois des maux naturels, donc dorigine divine, et que la fortune sourit parfois au méchant. Chacun est alors invité à sen remettre à la sagesse divine sans chercher à en percer les desseins. Supposons toutefois que cette immoralité du Judaïsme soit fondée ce qui, on le voit, ne va pas de soi. Le plus paradoxal est encore que Kant, en critiquant indirectement la morale juive, condamne nécessairement la Bible hébraïque, où la morale de la rétribution apparaît effectivement. Or cette Bible hébraïque est, quelques différences infimes mises à part, reprise par le Christianisme à son propre compte sous le nom dAncien Testament. La recherche des faveurs est-elle présente ou absente des mêmes textes, selon quils sont lus par les Juifs ou par les Chrétiens ? Il y a là encore, semble-t-il, une très forte partialité de Kant en faveur du Christianisme, partialité quune véritable neutralité philosophique a priori aurait rendue, selon nous, impossible. Nous affirmons bien que cette neutralité devrait exister a priori, sans quelle doive nécessairement se prolonger a posteriori. Mais Kant ne justifie par aucun argument philosophique la suprématie du Christianisme dans le domaine morale. On pourrait dailleurs remarquer que le Nouveau Testament nest pas non plus exempt de passages exprimant une morale de la rétribution32, ce que Kant, là encore, passe sous silence. Dans la même logique, il écrit : « Il nexiste quune religion (vraie) »33. Mais comment le Christianisme pourrait-il être la vraie religion sil est, selon les paroles de Jésus lui-même, laccomplissement dune fausse religion, en loccurrence le Judaïsme ? Enfin34, Kant nous semble également faire preuve dune précipitation suspecte et fort peu philosophique lorsquil écrit : « Jadmets premièrement la proposition suivante, comme principe nayant pas besoin de preuve : Tout ce que lhomme pense pouvoir faire, hormis la bonne conduite, pour se rendre agréable à Dieu est simplement illusion religieuse et faux culte de Dieu »35. Non pas que nous pensions, le lecteur laura compris, que bien dautres comportements sont susceptibles de plaire à Dieu ; mais ce qui est ici affirmé presque explicitement, cest que la bonne conduite dun homme le rend agréable à Dieu. Voilà certes une proposition qui aurait selon nous besoin de preuve, si cela était possible. A vrai dire, il peut sembler au contraire que lidée dun Dieu sensible aux comportements humains a quelque chose dirrespectueux, pour ne pas dire dhérétique, à moins daffirmer que Kant utilise un langage anthropomorphique, ce que rien ne laisse supposer. Bien dautres remarques seraient possibles pour confirmer, avec celles qui précèdent, que Kant fait reposer sa philosophie morale sur un fondement non philosophique, mais bel et bien religieux a priori, donc non argumenté rationnellement.
3. Le Catholicisme est-il une religion philosophique ? Nous allons à présent examiner un cas de religion prétendant ou pouvant prétendre être philosophique. Si nous choisissons le Catholicisme, ce nest pas essentiellement parce quil est la religion plus répandue dans nos sociétés dites latines, mais surtout parce quil sest doté dune théologie plus systématique que dautres religions, à la fois par sa fréquentation de la philosophie occidentale et par sa structure très hiérarchisée, qui ont permis létablissement dune doctrine unifiée et officielle, à labri, normalement, de toute contestation interne, ce qui facilite dailleurs grandement la recherche des références. Quelques remarques préalables simposent toutefois. Nous avons déjà évoqué lidée selon laquelle le fondement dune philosophie ne saurait être extra-philosophique. Cest pourquoi la manière dont débute une philosophie est capitale. Notons que ce début nest pas forcément et, dans les faits, nest que rarement premier chronologiquement dans luvre dun philosophe. Ainsi le doute radical de Descartes est bien le début logique de sa philosophie sans apparaître dans ses premières uvres. Si certains philosophes semblent ne pas sêtre particulièrement souciés de ce début philosophique, ce ne peut être que parce quils considèrent quil ny a pas à proprement parler à fonder la philosophie, ou encore parce que toute réflexion philosophique peut servir de fondement à la philosophie. Il ne saurait en aller de même dans une religion, dont le point de départ, à savoir la révélation, est toujours extérieur à la raison et même, plus largement, à lhomme. En fait, nous avons déjà rencontré ce cas de figure dans les textes de Leibniz et de Kant étudiés plus haut, dont nous avons montré quils sappuyaient sur des données spécifiquement religieuses, donc impossibles à argumenter philosophiquement. Nous allons retrouver cette extériorité dans le fondement du Catholicisme : « Au point de départ de toute réflexion que lÉglise entreprend, il y a la conscience dêtre dépositaire dun message qui a son origine en Dieu même ( ). La connaissance quelle propose à lhomme ne vient pas de sa propre spéculation, fût-ce la plus élevée, mais du fait davoir accueilli la parole de Dieu dans la foi »36. Les choses sont donc claires : les vérités religieuses, auxquelles les hommes peuvent accéder par la révélation, préexistent à toute réflexion humaine. En raison de leur origine divine, elles sont infaillibles. Avant même dinaugurer la moindre réflexion, le philosophe catholique sait donc vers quoi doit tendre sa philosophie. Celle-ci na par conséquent quun rôle secondaire de confirmation a posteriori de vérités admises comme vraies avant toute intervention de la raison philosophique. Cest donc en toute logique que Jean-Paul II écrit : « LÉglise, pour sa part, ne peut quapprécier les efforts de la raison pour atteindre des objectifs qui rendent lexistence personnelle toujours plus digne. Elle voit en effet dans la philosophie le moyen de connaître des vérités fondamentales concernant lexistence de lhomme. En même temps, elle considère la philosophie comme une aide indispensable pour approfondir lintelligence de la foi et pour communiquer la vérité de lÉvangile à ceux qui ne la connaissent pas encore »37. Ce que nous considérons comme contraire à la philosophie dans ces lignes, ce nest pas, encore une fois, la position elle-même, cest-à-dire la fonction évangélisatrice assignée à la philosophie, mais le fait que cette position soit assignée de lextérieur de la philosophie, cest-à-dire sans argumentation rationnelle. Dans la même logique, le pape condamne au terme de son encyclique un certain nombre de courants de pensée : léclectisme, lhistoricisme, le scientisme, le pragmatisme et le nihilisme38. Ces doctrines sont considérées à la fois comme des « erreurs » et des « dangers ». Cest dire quil aurait mieux valu quelles ne soient jamais formulées. On ne peut là encore que refuser de qualifier de philosophie une pensée qui se voudrait sans adversaire, même intellectuel ; nous estimons en effet que lesprit critique et louverture à la contestation doivent être des soucis constants du philosophe, conscient quil est, et ne peut quêtre, de ne pouvoir se prévaloir daucune infaillibilité. Autrement dit, le philosophe a philosophiquement intérêt à être contesté, afin de tester la validité de sa pensée. Au contraire, une doctrine dorigine surhumaine ne peut avoir, envers une contestation humaine, quune attitude de commisération, dindifférence, de mépris ou de violence, mais pas véritablement, on ne le voit que trop, découte véritable. On peut donc admettre que les vérités religieuses précèdent toute réflexion philosophique. Mais, objectera-t-on peut-être, la foi dans ces vérités religieuses ne peut-elle pas, quant à elle, être justifiée philosophiquement ? Pas davantage, comme le reconnaît, là encore, le dogme catholique : « Le motif de croire nest pas que les vérités révélées apparaissent comme vraies et intelligibles à la lumière de notre raison naturelle »39. Toutefois, pour que la foi soit conforme à la raison, Dieu a mis en uvre des « preuves extérieures de sa Révélation » : « les miracles du Christ et des saints40, les prophéties, la propagation et la sainteté de lÉglise, sa fécondité et sa stabilité ». La raison du philosophe trouvera-t-elle dans cette liste des preuves ou des « signes certains » de la révélation chrétienne ? Accordons au moins que cela nest pas évident
Conclusion Lexamen des philosophies religieuses de Leibniz et Kant a montré diverses failles, non pas en tant querreurs à lintérieur de leur philosophie, mais précisément en tant que manquements à lexigence philosophique dune argumentation rationnelle et donc de refus dun quelconque argument dautorité, fût-ce lautorité de la Bible. Nous pouvons donc conclure quune philosophie religieuse est soit extérieure à la religion, si la philosophie précède la religion41, soit extérieure à la philosophie si, comme nous croyons lavoir montré pour les deux cas étudiés, la religion précède la philosophie. Cela ne signifie bien entendu pas que le philosophe soit par définition irréligieux. Dans la mesure où il est homme avant dêtre philosophe, il pourra, comme Leibniz, Kant et beaucoup dautres, croire en Dieu et même appartenir à une religion précise. Mais il devra renoncer à légitimer sa foi, ses croyances et ses pratiques par des arguments philosophiques, et donc renoncer à intégrer sa religion dans sa philosophie. Il pourra seulement et même en tant que croyant, il devra probablement expliquer pourquoi sa philosophie doit forcément laisser une place, hors delle (au-dessus, dira-t-il sûrement), à la religion. Il pourra par exemple, à la manière dun Pascal, essayer de montrer que la raison et donc la philosophie peuvent reconnaître elles-mêmes leurs propres limites : « La dernière démarche de la raison est de reconnaître quil y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle nest que faible, si elle ne va jusquà connaître cela. »42 Le philosophe peut donc être religieux, mais il ne peut pas lêtre en tant que philosophe. La philosophie peut indiscutablement aller jusquau déisme ou au théisme, mais le pas qui mène du théisme à une religion révélée est précisément le pas qui fait sortir de la philosophie. Lhypothèse dune religion philosophique, du fait du nécessaire fondement non humain de toute religion, est elle aussi, dès le départ, à exclure. Quant à lathéisme, il nest jamais que le refus dune certaine conception de Dieu ou des dieux. On peut le voir par exemple avec Spinoza qui, tout en démontrant lexistence de Dieu43, peut bien être considéré comme athée, au sens où il refuse lexistence dun Dieu anthropomorphe44. On le voit encore avec Marcel Conche, qui sattaque précisément à lidée dun Dieu à la fois moralement bon et tout-puissant : « Il est indubitable ( ) que le supplice des enfants a été, et devait ne pas être, et que Dieu pouvait faire quil ne soit pas. Comme Dieu ne sest pas manifesté dans des circonstances où, moralement, il laurait dû, sil existait, il serait coupable. La notion dun Dieu coupable et méchant apparaissant contradictoire, il faut conclure que Dieu nest pas. »45 Nous naffirmons certes pas que cette argumentation, non plus que les démonstrations de lexistence de Dieu de Spinoza, sont à labri de toute contestation, y compris philosophique. Mais nous avons bien là des exemples de raisonnement parfaitement intelligible, que même le plus fervent des croyants peut suivre, pour peu quil soit doué de raison. Lathéisme peut donc être philosophique ou, ce qui revient au même, une philosophie peut être athée.
On se méprendrait en voyant dans cette étude une attaque contre les religions en général. Nous avons même indiqué à plusieurs reprises que lattitude des religieux est très souvent en parfaite cohérence avec leurs convictions. Nous avons uniquement cherché à montrer en quoi religion et philosophie, sans forcément se combattre mutuellement, ne peuvent pas sunir sans une dangereuse confusion des genres. Pour les deux partis, une telle union ne serait donc pas pour le meilleur mais seulement pour le pire
1 Nous considérerons ici les religions dans leur approximative unité, et plus précisément dans leur rapport à la philosophie. 2 Ces deux questions reviennent, au bout du compte, au même, mais au bout du compte seulement. 3 Nous reviendrons, avec lexamen de la position kantienne, sur la distinction entre religion naturelle et religion révélée. 4 Nous précisons bien quil ne sagit pas là de donner une définition, avec tout ce que cette opération implique, de la religion, mais bien de la distinguer de la philosophie. 5 La question nest pas ici celle de lintolérance des religions, fort diverses sur ce point comme sur dautres, mais celle du statut de laffirmation de la sacralité au sein même dune religion. Nous soutenons ici que cette affirmation se présente toujours comme indubitable, au point que toute éventuelle critique à ce sujet doit être considérée comme déplacée, dans le meilleur des cas 6 Nous distinguons ici le fondement dune religion, cest-à-dire la ou les croyances, toujours liées au sacré selon nous, sur lesquelles sappuient les autres croyances, de son principe, qui nest pas une croyance mais lorigine de sa révélation : par exemple Dieu dans les religions monothéistes. 7 Discours de la méthode, première partie. NRF Gallimard, « La Pléiade », p.130. Cest nous qui soulignons. 8 Lettre LXXIII à Oldenburg (1675). NRF Gallimard, « La Pléiade », p.1283. Ce célèbre passage devrait suffire à éviter toute récupération du spinozisme par le Christianisme ce qui, dans les faits, nest pas le cas. 9 On objectera que certains philosophes habituellement qualifiés de rationalistes par exemple Leibniz admettent les vérités révélées de certaines religions, notamment le Christianisme. Nous étudierons précisément plus loin le cas de Leibniz, en montrant pourquoi il ne peut pas, selon nous, être pleinement considéré comme rationaliste. 10 Il na toutefois échappé à personne que, par une étrange coïncidence, les philosophes croyants adoptent dans la quasi-totalité des cas la religion de leur éducation, familiale notamment, et ce pas seulement dans le cas du Christianisme, comme le montrent les cas dAverroès et de Maïmonide par exemple. Nous ne connaissons pas de contre-exemple sur ce point (Schopenhauer ne peut pas, par exemple, être sérieusement qualifié de philosophe bouddhiste, bien quil se soit lui-même reconnu dans certaines thèses du Bouddhisme). 11 Nous pensons par exemple aux Objections faites aux Méditations de Descartes, ou à la correspondance de nombre de philosophes. 12 Jean-Paul II, Fides et ratio (la foi et la raison), I, prologue ; lettre encyclique du 14 septembre 1998. Supplément au quotidien « La Croix » du 16 octobre 1998, p.3 13 Dautres philosophies pourraient bien sûr avoir leur place ici, par exemple celle de Hegel. Cest pour ne pas rendre cette étude trop volumineuse que nous avons choisi ces deux exemples, à la fois pour leur relative simplicité et leur représentativité. Par ailleurs, il est certain que lexamen de philosophies religieuses non chrétiennes manque à cette étude. Notre quasi-ignorance en la matière est la raison de cette absence. 14 Discours de métaphysique, 1, II. Éditions Vrin, p.26. Cest nous qui soulignons. 15 Genèse, 1, 9 10. Cest nous qui soulignons. 16 A fortiori ne peut-elle pas être la thèse dun philosophe rationaliste, qualificatif que lon attribue souvent à Leibniz. 17 Et pour cause : nous croyons avoir montré plus haut quune telle justification est impossible ; au moins devrait-elle être tentée par Leibniz sil entend se placer dans une perspective philosophique. 18 Spinoza, Traité des autorités théologique et politique, préface. NRF Gallimard, « La Pléiade », p.612 19 Selon Spinoza, au contraire, on pourrait dire que Dieu est lauteur de la Bible seulement si elle dit vrai (ce qui reste donc à démontrer rationnellement), mais en donnant au mot Dieu un sens qui exclut toute révélation : toute la première partie de lÉthique, intitulée de Dieu, est exempte de la moindre allusion biblique ou théologique. 20 Évangile selon Matthieu, chapitres 5 à 7. 21 Évangile selon Matthieu, 5, 27 28. 22 Interdiction formulée dans le septième des dix commandements (Exode, 20, 14). 23 Évangile selon Matthieu, 5, 17 : « Nallez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » 24 La religion dans les limites de la simple raison, IV, 1, 1. Éditions Vrin, p.179 25 Puisque dans les deux cas, de nombreux siècles se sont écoulés entre le texte et son interprétation : de la rédaction du Décalogue dans lExode à linterprétation quen fait Jésus dans les Évangiles dune part, de la rédaction des Évangiles à linterprétation quen fait Kant dautre part. 26 La religion dans les limites de la simple raison, op. cit., I, Remarque générale. p.92. Cest nous qui soulignons. 27 Cf. note 23. 28 ou plus exactement entre le Judaïsme et lenseignement de Jésus, car rien dans les paroles de ce dernier nindique clairement quil voulait fonder une nouvelle religion, mais plutôt, comme on la dit (note 23), quil était venu pour « accomplir » le Judaïsme. 29 Par exemple : « Si le juste ici-bas reçoit son salaire, combien plus le méchant et le pécheur » (Proverbes, 11, 31 ; le terme « salaire » est ici sans ambiguïté). Bien dautres versets, dans ce livre ou dans dautres, sont tout aussi explicites. 30 Dans le livre de Job, Yahvé, par lintermédiaire de Satan, éprouve la foi de Job, homme riche et pieux, en détruisant ses biens, en faisant tuer ses serviteurs et ses enfants, puis en le frappant de maladie. Job, conformément aux prédictions de Satan et contre celles de Yahvé, reproche à ce dernier son injustice. La leçon du livre, donnée par Yahvé lui-même, est que nul ne doit se permettre de juger son Dieu, et ce même sil lui semble injuste. Cela dit, Job recouvre à la fin du récit tout ce quil a perdu : la morale de la rétribution est confirmée, bien que le propos officiel du livre la condamne. 31 Les théologiens appellent cela une « évolution » de la doctrine biblique, terme certes moins brutale que celui de « contradiction » 32 Par exemple : « Cest quen effet le Fils de lhomme doit venir dans la gloire de son Père, et alors, il rendra à chacun selon sa conduite » (Évangile selon Matthieu, 16, 27). 33 La religion dans les limites de la simple raison, op. cit., III, 1, 5. p.137 34 Il ny a bien entendu nulle prétention à lexhaustivité dans ces quelques remarques. 35 La religion dans les limites de la simple raison, op. cit., IV, 2, 2. p.188 36 Jean-Paul II, Fides et ratio, I, 7 ; op. cit., p.5 37 Ibid., I, 5 ; p.4. Cest nous qui soulignons. 38 Ibid., VII, 86 - 90 ; pp.31 - 32. 39 Catéchisme de lÉglise Catholique, première partie, chapitre troisième, article I, 3, §156. Mame / Plon, p.44 40 Mais que faire alors de ce verset : « « Il surgira, en effet, des faux Christ et des faux prophètes, qui produiront de grands signes et des prodiges, au point dabuser, sil était possible, même les élus. » (Évangile selon Matthieu, 24, 24). 41 On peut ici se reporter aux deux remarques précédant lanalyse de la philosophie religieuse de Leibniz, en haut de la page 4. 42 Pascal, Pensées, fragment 267 de létablissement de Brunschvicg (188 de Lafuma). Garnier-Flammarion, p.266. Concernant les Pensées en général, il est bien malaisé de dire sil sagit bien là dun ouvrage philosophique au sens où nous lavons expliqué plus haut. En fait, certains fragments le sont sans aucun doute, comme celui du pari (Brunschvicg : 233 ; Lafuma : 418). Dautres ne le sont manifestement pas, comme ceux sur les « preuves de Jésus-Christ » (Brunschvicg : 737 et suivants), qui ne sadressent pas à la raison, mais bien à la foi éventuelle du lecteur. 43 Éthique, I, proposition 11. NRF Gallimard, « La Pléiade », pp.317 319. 44 Appendice de la première partie de lÉthique et Traité des autorités théologique et politique, surtout les chapitres I à XII. 45 Marcel Conche, Orientation philosophique. I. La souffrance des enfants comme mal absolu. P.U.F. p.57 |
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