Comme on le sait, certains neurobiologistes défendent
la thèse selon laquelle toute activité mentale et tout produit de cette activité
seraient, en dernière analyse, d'ordre physique ; les représentations, les
idées, ainsi que leurs combinaisons formant discours et raisonnements,
résulteraient intégralement de processus physico-chimiques dont les principaux
acteurs seraient les neurones. La pensée ne serait pas autre chose que
l'activité de ces agents, et l'esprit ou l'âme, sujet de cette
activité, ne serait pas autre chose que le complexe formé par ces éléments
physiques et leurs multiples liaisons.
Négligeons ici le détail de ce complexe et disons « les neurones » pour le
désigner de façon globale et simplifiée ; ne discutons pas de la justesse
scientifique des expériences et connaissances en neurobiologie, ce point ne
relevant ni de notre compétence ni de notre sujet : admettons, en particulier,
la réalité de la concomitance entre activité mentale et activité cérébrale mise
en évidence par les moyens modernes d'expérimentation. Interrogeons-nous
simplement sur les conclusions qu'il est possible d'en tirer.
L'identité de l'étude et de l'objet étudié
Lorsqu'il étudie le cerveau et la nature des rapports entre le cerveau et la
pensée, le scientifique est dans une situation qui n'est claire qu'en apparence,
et qui, en réalité, ne peut que lui échapper.
La situation dans laquelle il croit se trouver est la situation
classique de tout scientifique exerçant son office : celle qui consiste à être
devant un objet d'étude qu'il s'agit de décrire et de comprendre. Être devant un
objet signifie : avoir sous son regard quelque chose qui est distinct à la fois
de ce regard et de celui qui l'exerce, cette double distinction étant
précisément la condition de ce que l'on appelle l'objectivité scientifique. L'objet est « ce qui se
tient là devant », c'est-à-dire à l'extérieur et à distance, sans quoi il ne
serait pas possible de l'embrasser du regard ; et l'objectivité est la manière
de regarder qui consiste à placer la chose devant soi, comme autonome par
rapport à ce regard même, en sorte que rien de ce qui relève des particularités
de l'observateur ne vienne en troubler la vue. L'objet est, en outre, ce sur
quoi l'activité (ici le regard, l'étude) est exercée ; cette activité n'est
nullement la sienne, il la subit : précisément, comme le dit le langage courant,
il « fait l'objet » de cette activité, il est vu, il est examiné,
et il n'est un objet au plein sens du terme que dans la mesure où ainsi il se
« laisse faire », ne faisant rien d'autre que se tenir devant le regard et
s'offrir à lui.
Extériorité et passivité, tels sont donc les deux caractères
essentiels et nécessaires de tout objet que le scientifique étudie, et toute
chose qui manquerait de présenter l'un ou l'autre ne pourrait que se dérober à
lui. Or l'objet dont il s'agit ici, du moins l'un des
composants de cet objet (à savoir la pensée, l'objet entier étant le
rapport entre le cerveau et la pensée), ne les présente justement pas, et
ne peut pas les présenter, alors même que l'on croit plus ou moins lucidement
pouvoir les lui attribuer. Lorsque, par exemple, M. Changeux étudie le cerveau
et les « activités mentales », s'interroge sur les « capacités humaines » afin
de déterminer si elles peuvent toutes être produites et expliquées par le
fonctionnement des neurones, il pense être devant un objet et il se comporte à
son égard comme un scientifique peut et doit le faire. Son interrogation est de
la forme : « voici un être ayant telles capacités ; qu'est-ce qui, en lui, les
rend possibles ? Comment rendre compte des activités de cet être à partir de sa
constitution physique ou physico-chimique ? ». Ici toutefois les capacités et
activités en question sont celles que lui-même regroupe sous le terme de
« pensée », c'est-à-dire l'interrogation, l'analyse, le jugement, la
compréhension. Mais comme étudier ne veut rien dire d'autre que
s'interroger, analyser, comprendre, il se présente ici cette situation
particulière que l'objet étudié et l'activité d'étudier elle-même ne font qu'un.
Il se produit donc en vérité, à l'intérieur et de l'intérieur même de l'objet,
un dédoublement qui affecte chacun de ses deux composants : l'activité
elle-même, à savoir la pensée, et ce qui est censé être l'agent de cette
activité, les neurones.
Une
pensée qui ne pense pas
D'un côté en effet, la pensée comme activité n'est pas seulement ce devant
quoi le neurobiologiste se tient, mais ce qu'il est en train de faire en
se tenant devant elle. Elle est même, pour ainsi dire, le « se tenir devant »
lui-même : car la manière d'être « devant », ici, est précisément celle de
l'interrogation et de la tentative de compréhension, et non pas un être-devant
simplement spatial (comme une chose peut être placée « devant » une autre), ni
même un être-devant seulement sensoriel (comme un animal peut se trouver
« devant » une proie ou un obstacle qu'il perçoit comme extérieurs à lui).
Loin d'être embrassée du regard comme tout objet doit
l'être, la pensée est ici le geste d'embrasser lui-même, et se trouve donc à la
fois dans la position de ce qui est examiné, et de ce qui mène l'examen.
Mais dans la mesure où il regarde seulement droit devant lui vers son « objet »,
le scientifique qui étudie la pensée ne voit pas ce qu'il fait, à
savoir qu'il est en train de faire ce qu'il veut voir.
Cette activité passe pour ainsi dire dans son dos, « derrière » lui, et
cela à l'instant même où il se place « devant » elle : car c'est le fait même de
se croire simplement devant la pensée, comme devant un objet, qui place
instantanément celle-ci en position d'activité inaperçue. Or ni cet « être-devant »
ni cet « être-en-arrière » isolés l'un de l'autre ne correspondent à la
réalité. Lorsque le scientifique est en train de l'étudier, l'activité de penser
n'est pas un pur « regardé », quelque
chose qui est vu et étudié de l'extérieur par autre chose que soi,
ni un pur « regard » qui voit et examine
quelque chose qui est distinct de soi et extérieur à soi, mais regard sur soi
à partir de soi. Mais ne pouvant faire autrement que de couper l'un de
l'autre l'objet et le regard porté sur lui, le scientifique empêche l'un et
l'autre d'être ce qu'ils sont, ou, plus justement, il s'empêche lui-même de les
voir tels qu'ils sont effectivement : puisque le fait de
regarder, loin d'être appliqué extérieurement à l'objet, est en vérité
constitutif de celui-ci et constitue même son essence,
croire qu'il est seulement vuet omettre le fait qu'il est le « voir » lui-même, c'est
voir autre chose que lui, et c'est, à la
limite,faire autre chose que
voir.
C'est dire que son objet, la pensée,
échappe nécessairement au neurobiologiste, en ce sens que cet objet est
nécessairement incomplet. Ce qui, en lui, est « oublié », c'est l'examen que
l'on est en train d'en faire et qui devrait pourtant en faire partie, puisque
c'est par la pensée qu'on
l'examine. L'objet devrait ici inclure en lui-même le regard qu'on porte sur lui
– c'est-à-dire ne pas
être un « objet ». Toute définition de la
pensée doit comporter comme un élément nécessaire la réflexivité, le retour sur
elle-même de l'activité, puisque quelle que soit cette définition, il est bien
certain que c'est elle qui la
conçoit et qui la formule. Penser ne peut
donc pas être une activité
consistant à produire certains éléments (des « images mentales ») entre lesquels
seraient établies ensuite certaines relations. Une telle définition se
détruirait elle-même ; quand je me demande « qu'est-ce que la pensée ? » et que
je réponds « c'est le fait de produire et relier entre elles des images
mentales », la réponse n'est pas à la hauteur de la question, car quand je pose
celle-ci je ne suis pas en train de produire ni d'agencer des images mentales,
et pourtant je pense. Définir la notion d'image mentale et s'interroger sur
elle, c'est faire autre chose qu'en produire : ou alors il faudrait dire que
l'on produit une image mentale de la notion d'image mentale, ce qui n'a pas de
sens.
Au bilan de ce singulier jeu de cache-cache de la pensée avec
elle-même, le scientifique ne voit pas ce qu'il croit voir et ne fait pas ce
qu'il croit faire. Entre ses mains la pensée s'ignore et se dissimule à
elle-même précisément quand elle croit se trouver, et cela à vrai dire, en vertu
de la manière même dont elle se cherche. Ce que le neurobiologiste étudie, ce
n'est pas et ce ne peut pas être la pensée mais son fantôme, voire son cadavre :
la pensée amputée de l'aptitude au regard sur soi-même, c'est-à-dire amputée de
son essence, la réflexion. Il en
reste une plate « activité mentale », un ensemble de procédures réifiées et
codifiables, ne s'appliquant jamais qu'à autre chose qu'elles-mêmes. Surtout, la
« pensée » ainsi définie est à mille lieues de pouvoir rendre compte de ce que
l'on est en train de faire au moment même où l'on en parle : quand le
scientifique étudie le fonctionnement des neurones, il est en train de faire
autre chose que ce qu'il définit
lui-même comme pensée – ou, si l'on veut, il est en train de faire quelque chose
qui est incontestablement de la pensée, mais dont sa définition de la pensée ne
peut pourtant pas rendre compte.
Un agent
qui n'en est pas un
Du
côté des neurones apparaît une difficulté qui semble d'abord similaire,
puisqu'ils doivent eux aussi être à deux « endroits » à la fois. Lorsque, en
effet, le scientifique étudie les relations entre la pensée et les neurones,
cette étude est elle-même menée par (ou consiste en) une pensée mettant en jeu
des neurones ; et si l'on parvient à la conclusion que les neurones étudiés sont
les agents de la pensée étudiée, il faut nécessairement appliquer cette même
conclusion à l'étude dont elle résulte, et tenir que la pensée étudiante est
produite par des neurones étudiants. Soit que l'étude scientifique porte sur
autrui, soit qu'elle porte sur soi-même (chose malaisée techniquement peut-être,
mais possible en principe), la thèse qui en résulte est que les neurones
s'étudient eux-mêmes ; car par quoi d'autre le seraient-ils ?
Un remarquable chapelet d'étrangetés en découle aussitôt. Comme la
découverte des neurones est historiquement récente, il faut admettre qu'avant
celle-ci les neurones ont ignoré non seulement leur propre activité, mais leur
existence même ; et cela, tout en fonctionnant pourtant dans certains cas de
façon remarquable : ainsi par exemple, les neurones d'Aristote ne se sont jamais
doutés qu'ils existaient. Comme la découverte de l'existence des neurones est
incontestablement une œuvre de la pensée, et que par hypothèse ce sont eux qui
pensent, cette découverte ne peut avoir qu'eux pour auteurs, si bien qu'ils se
sont finalement rencontrés eux-mêmes, s'apercevant tardivement et avec
émerveillement de leur propre réalité. Ainsi sont-ils passés d'une complète
ignorance de soi à une auto-connaissance qui toutes deux laissent perplexe, tant
la première paraît incompatible avec le rôle que l'on veut leur faire jouer, et
la seconde inconciliable avec la nature qu'on leur prête. La première, parce
qu'elle implique que l'agent de la pensée puisse ne pas savoir qu'il l'est ;
c'est un sujet d'étonnement que les neurones aient pu se découvrir eux-mêmes
comme agents de la pensée, mais c'en est un plus grand encore qu'ils aient pu si
longtemps ne pas le faire, et agir sans seulement pressentir qu'ils existassent.
La seconde, parce qu'elle implique à l'inverse une capacité à se voir soi-même
de l'extérieur, une auto-inspection, rejetées comme impossibles lorsqu'elles
sont revendiquées pour « l'esprit » ou pour « l'âme », mais accordées ici les
yeux fermés à des éléments de matière. Or – et là est la différence avec le
point précédent – autant, lorsqu'il s'agissait de la pensée, le neurobiologiste
commettait l'erreur de ne pas voir l'aptitude au
regard sur soi-même que la pensée
possède effectivement, et que lui-même met
en œuvre sans s'en rendre compte, autant s'agissant des neurones son erreur
consiste à leur attribuer implicitement une aptitude au regard sur soi-même
qu'ils ne peuvent pas posséder :
rien de physique, en effet, ne peutainsi se distancier de soi-même et devenir
pour soi-même un objet, au sens
plein du terme qui a été précédemment défini.Bref : il faudrait admettre de la part des
neurones une auto-ignorance incompréhensible (leur rôle consistant à penser),
suivie d'une auto-connaissance plus incompréhensible encore (leur nature étant
celle d'éléments physiques). Pour comble de confusion, il faut enfin ajouter que cette
querelle autour de la nature et du rôle des neurones est censée être menée par
les neurones eux-mêmes, certains d'entre eux soutenant qu'ils sont les agents de
la pensée, certains autres (ceux de l'auteur de ces lignes par exemple)
persistant à se dénier à eux-mêmes cette faculté. Non contents de pouvoir se
découvrir eux-mêmes après s'être ignorés, les neurones doivent en outre pouvoir
ignorer qu'ils sont eux-mêmes les auteurs de cette découverte, ou du moins en
douter : faute de quoi, la possibilité d'un débat sur ce point serait
inintelligible.
Une
erreur inexplicable
Un
tel débat, de fait, existe pourtant. La position qui consiste à affirmer que les
neurones sont les agents de la pensée, et que la pensée n'est rien d'autre que
leur activité, a bien en face d'elle une position adverse, qui consiste à nier
ce double point. Et les tenants de la première (M. Changeux par exemple) ne se
font pas faute de voir dans la seconde une erreur, héritière d'une
croyance ancienne, métaphysique et/ou religieuse, qu'ils dénoncent comme
fausse : la croyance en l'existence de l'esprit (ou « âme ») entendu comme
réalité immatérielle dont la pensée serait la manifestation. Car avant la
découverte des neurones, les hommes ne se sont pas contentés, à propos de la
pensée et de sa source, d'une pure et simple inconscience, d'une ignorance
« neutre » en quelque sorte (comme à propos de l'existence et de l'activité des
électrons), mais ils ont formulé hypothèses et thèses sur ce point, et se
seraient donc trompés.
Or la nature et l'objet du débat, ici, interdisent de s'en tenir à
la simple démonstration du fait que l'adversaire se trompe : il faut encore
rendre compte de la possibilité même de se tromper, expliquer non seulement
pourquoi c'est une erreur de croire que ce ne sont pas les neurones qui pensent,
mais encore expliquer comment les neurones eux-mêmes engendrent une telle
erreur. L'erreur, en effet, est une modalité de la pensée, laquelle fait
précisément l'objet de toute la discussion ; il faut donc proposer une
conception de la pensée dans laquelle l'erreur soit possible – et non n'importe
quelle erreur mais cette erreur-là, qui consiste à se méprendre
sur soi-même, à prendre position affirmativement sur soi-même en se prenant
soi-même pour autre chose que ce que l'on est. Car enfin pour le neurobiologiste
adepte des vues de M. Changeux qui discute avec quelqu'un refusant sa thèse, que
signifie exactement cette discussion ? Et en particulier, qu'est donc son
interlocuteur à ses yeux ?
De deux choses l'une. Soit il a affaire à quelqu'un qui raisonne
mal par manque de discernement ou par attachement à des croyances
illusoires ; il s'agit alors de lui tenir un discours du genre : « vous êtes
dans l'erreur et/ou dans l'illusion en croyant que votre pensée a pour source
une âme immatérielle, ou quoi que ce soit d'autre que vos neurones , et je vais
vous le montrer ». Mais qui est donc ce « vous » qui se trompe ou se berce
d'illusions, à qui l'on adresse arguments et réfutations pour le faire revenir
de son égarement, comme le fait M. Changeux dans ses ouvrages ? A qui parle-t-on
sinon à un sujet de pensée, que l'on ne tente d'éclairer et de convaincre
que parce qu'on le suppose capable de voir enfin la réalité telle qu'elle est ?
Mais un tel sujet, capable de rectifier l'idée qu'il se fait des neurones en
général et des siens en particulier, capable pour cela de mobiliser l'activité
de ces derniers et d'en réorienter le cours, ce sujet est nécessairement
distinct de ces éléments comme de leurs interactions. C'est pour lui que M.
Changeux écrit ses livres et développe ses raisonnements, par-dessus la tête des
neurones de ses lecteurs comme des siens.
Soit l'interlocuteur est vu comme un collectif de neurones qui
fonctionne mal ; alors il ne s'agit plus de discussion à proprement parler.
On n'adresse pas des livres à un réseau de connexions en état de
dysfonctionnement, on le répare ou on le soigne. Mais si l'on est alors dispensé
de convaincre, on ne l'est pas de comprendre ce que l'on est en train de faire,
et d'expliquer la possibilité même de la défaillance à laquelle on veut
remédier. Comment un mauvais fonctionnement peut-il provoquer l'illusion, dans
la chose qui en est frappée, de ne pas être une chose qui fonctionne
(correctement ou non) ? Car encore une fois, il ne s'agit pas ici de la mauvaise
application de telle ou telle procédure, mais d'une prise de position erronée
sur soi-même, sur l'idée même de fonctionnement et sur l'agent de ce
fonctionnement. Croire faire autre chose que fonctionner, ce n'est pas
fonctionner mal. C'est répondre à une question en forme d'alternative, dont
l'idée de fonctionnement elle-même est l'une des branches : suis-je un réseau
qui fonctionne – bien ou mal – ou un sujet dont l'activité est irréductible à
tout fonctionnement ? Il ne suffit pas d'établir que l'interlocuteur donne à
cette question une réponse fausse, il faut encore expliquer comment il peut
seulement se la poser, dire ce qui, en lui, se la pose et y répond de
travers. Et derechef, même en admettant que l'illusion d'être un sujet distinct
des neurones puisse être engendrée par un dysfonctionnement de ces derniers,
l'on demeure devant la question : cette illusion, qui l'a ? Qu'est-ce
qui, en moi, ne peut ou ne veut pas
voir que c'est un collectif de neurones qui pense en moi, si ce n'est « quelque
chose » qui est nécessairement distinct d'un tel réseau ?
Dans chaque cas, soit qu'on estime l'interlocuteur capable de
renoncer à son erreur par la réception d'un discours démonstratif, soit qu'on le
juge victime d'une illusion produite par un dysfonctionnement physique (auquel
seule une intervention physique pourrait alors remédier), on postule donc
l'existence en lui d'un sujet autre que les neurones ; car en toute hypothèse,
il n'est pas au pouvoir des neurones de se tromper
de la manière dont il s'agit ici.
Il est parfaitement au pouvoir de
la pensée, en revanche, de se tromper de manière à produire des thèses comme
celle de M. Changeux. Ce regard erroné sur soi-même que les neurones ne peuvent
avoir, une réflexion hâtive l'adopte sans peine, et s'il est impossible à des
éléments de matière de se prendre pour un sujet immatériel, rien n'est plus aisé
à un sujet immatériel que de se prendre pour un agencement de matière. Se
masquer à soi-même ce que l'on est en train de faire, attribuer sa propre action
à autre chose que soi, et ne pas voir de quelle nature il faut être pour être
capable de telles méprises : autant de défaillances de la pensée, que celle-ci
s'inflige en s'ôtant à elle-même quelque chose de son pouvoir, alors que nulle
augmentation du pouvoir de fonctionnement des neurones ne peut les y rendre
aptes. Reste bien sûr à comprendre le rôle exact que jouent les neurones dans la
mise en acte de la pensée ; mais il est bien certain que la concomitance de
cette mise en acte et de leur propre activité ne peut avoir le sens d'une
causalité de celle-ci à l'égard de celle-là.