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Le jardinier et les mécaniciens

Logique hégélienne et logique moderne

 

   Voici deux siècles, G.W.F. Hegel a conçu une logique qu’il présentait non seulement comme étant en progrès par rapport aux précédentes tentatives dans le même domaine, mais comme exposant de manière complète et définitive le contenu de celui-ci. Corrélativement, il présentait sa logique non seulement comme étant scientifique (comme le montre le titre de l’ouvrage en lequel il l’exposait), mais comme étant la seule et unique science vraiment digne de ce nom [1]. Or il existe aujourd’hui une discipline appelée « logique », considérée par ses pratiquants comme constituant, en son état actuel, un approfondissement et un perfectionnement de tout ce qui avait pu être fait dans ce domaine par le passé. Cette supériorité de la logique moderne consisterait dans le fait qu’elle est plus scientifique que les précédentes – voire dans le fait qu’elle est scientifique, alors que les autres ne l’étaient pas [2]. Nous sommes donc en présence de deux positions inconciliables ; il faut que, du logicien moderne et de Hegel, l’un se méprenne : Hegel, dans sa prétention à avoir achevé la logique, et la logique comme seule vraie science, ou le logicien moderne, dans sa prétention à posséder une logique plus scientifique que celle de Hegel. Le logicien moderne sera enclin à considérer que la logique de Hegel n'a apporté dans ce domaine aucun progrès, voire qu'elle n'a de logique que le nom et ne mérite, de ce fait, que peu ou pas d'attention [3]. Le philosophe hégélien, de son côté, sera porté à penser que les logiciens modernes évoluent dans un domaine dont Hegel a montré, une fois pour toutes, qu’il ne coïncide pas avec la logique, mais constitue dans le meilleur des cas un simple aspect particulier (et particulièrement borné) de celle-ci [4] .
   Sommes-nous donc en présence de deux pensées n’ayant rien de commun, si bien qu’il n’y aurait aucun sens à se demander laquelle des deux « dépasse » l’autre, ou laquelle des deux est en progrès sur l’autre ? Mais si c’est le cas, l’une des deux usurpe le titre de logique (et celui de science), et il doit du moins être possible de déterminer laquelle. Ou bien peut-on admettre qu’elles revendiquent toutes deux légitimement le double titre de logique et de science, et qu’il existe donc deux logiques également scientifiques, constituant chacune un système complètement clos sur lui-même, sourd à l’autre et muet pour lui ? Comment déterminer si, de Hegel et du logicien moderne, l’un s'abuse en présentant sa pensée comme vraiment logique et vraiment scientifique, et si oui lequel ? L'enjeu va bien au-delà de la possession d'un titre, ou de la clarification d'un aspect particulièrement technique de l'histoire de la philosophie, qui n'aurait d'intérêt que pour érudits et spécialistes ; car il n'y va de rien de moins, ici, que de la nature et des pouvoirs de la pensée, point dont on devine bien qu'il doit avoir une infinité de retombées plus ou moins directes dans toutes les sphères de l'existence humaine.

 

Nécessité et unicité du concept de logique

   Pour tenter de répondre à ces questions, une seule voie est admissible : la détermination aussi précise que possible de ce qui fait la logicité de la logique [5].
   Tout jugement, en effet, par lequel l’on se prononce sur le caractère plus ou moins logique d’une pensée, d’un système ou d’un ensemble de systèmes, soit en eux-mêmes soit comparativement les uns aux autres, suppose connues les conditions qui doivent être remplies pour que quelque chose en général puisse être tenu pour logique. L’ensemble de ces conditions constitue la définition du logique en lui-même, en son pur concept. Un jugement qui ne serait pas effectué à l’aune de l’intelligence explicite de ce concept serait, au mieux, un jugement présupposant implicitement la connaissance de celui-ci, et au pire, un jugement qui ne ferait qu’entériner les yeux fermés une certaine opinion touchant à ce qui est logique ou non. Seul un tel concept permet, en particulier, non seulement de comparer entre eux des systèmes, mais encore de trancher les débats qui, au sein même de la logique moderne, ont lieu à propos des frontières de la logique (en particulier par rapport aux mathématiques), à propos donc de ce qui en relève ou non, et par suite du type de notions et de procédures qui peuvent être admises comme siennes [6]. Seul ce concept permet, enfin, de parler d’une manière sensée de progrès, ou de régression, ou de stagnation, comme le font les historiens de la logique ; parler de progrès sans se référer à un tel concept revient littéralement à parler dans le vide [7]. Progresser signifie en effet s’approcher du but, et s’approcher du but signifie devenir conforme au concept. Dire par exemple que, depuis l’époque d’Aristote, la logique a progressé peut seulement signifier : les exigences qui doivent être remplies pour qu’une pensée soit logique – exigences qui constituent le contenu du concept de logicité – sont mieux connues et mieux satisfaites (ou aussi bien connues mais mieux satisfaites) aujourd’hui qu’à l’époque d’Aristote.
   Il pourra sembler que cette invocation d’un concept a quelque chose de suspect, pour la raison que l’idée même de concept serait une chimère de métaphysicien, ou du moins que la croyance en l’existence d’un tel concept est elle-même une présupposition. Les logiciens modernes, ou du moins certains d’entre eux, feront valoir que ce qui a été invoqué ci-dessus comme concept ne fait pas partie de ce qu’eux reconnaissent comme digne d’être appelé « concept », à savoir : ce qui peut être énoncé par les symboles et d’après les modes opératoires de la logique moderne [8]. Mais il est aisé de voir qu’une telle appréhension du « concept » est précisément motivée par un souci de ne pas s’écarter du logique, et que ce souci contient donc immédiatement en lui-même une certaine conception de ce qui est logique ou non. On ne peut, pour nier l'existence d'un tel concept, invoquer le fait qu’on ne le trouve dans aucun système de logique moderne : car il précède l’élaboration du (ou des) système(s) logique(s) et n’en provient pas, il justifie cette élaboration mais n’est pas justifiée par elle ; il conditionne toute détermination de ce qui doit ou ne doit pas être pris en compte dans le (ou les) système(s) en question [9]. Tout ce que fait le logicien comme logicien, toutes les décisions qu’il prend en tant que logicien – celle par exemple de n’admettre comme concept que ce qui présente telle et telle caractéristique – est fait au nom d’une conception de ce qui est logique et de ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire du concept même de logicité. En somme, loin de constituer une présupposition suspecte, l’admission de ce concept permet seule d’éviter toute présupposition et de légitimer toute suspicion. Car suspecter, ici, ne peut rien signifier d’autre que se demander si ce qui est avancé est bien logique ou non : interrogation qui implique, pour être sensée ou même seulement possible, l’admission d’un concept du logique comme tel [10].
   Ce concept, il faut en outre y insister, est et ne peut être qu’un. Toutes « les » logiques – classique ou moderne, moderne ou hégélienne, formelle, modale, « réflexive », etc. – ne méritent d’être considérées comme des logiques que pour autant qu’elles participent, à un degré ou à un autre, de la logicité même. Très insuffisant reste le simple constat, fait par exemple par J. Largeault, que la diversité des logiques (modernes en l’occurrence) « est compensée par la communauté des méthodes et des concepts, par les comparaisons qui relient les logiques, enfin par les dualités (syntaxe/sémantique, langage/ontologie) qui traversent toute la discipline » [11]. Il n’est pas question, en effet, de compensation, mais de compatibilité entre logicité et pluralité de systèmes. Ou bien ces « points communs » se retrouvent fortuitement dans les divers systèmes, et alors l’unité qui repose sur eux est elle-même fortuite (et ne compense rien) ; ou bien ils constituent le caractère logique de chacun des systèmes, et alors ils forment le contenu du concept même de logicité. Dans ce dernier cas ils ne compensent pas la diversité, mais la nient en tant que diversité de logiques : il n’y en a alors, fondamentalement, qu’une. – La notion de progrès ne peut avoir de sens qu’à cette condition : faute d’une même et unique référence à laquelle on les comparerait toutes, il est évidemment impossible de hiérarchiser les différentes pensées ou doctrines se présentant comme des logiques, d’une manière qui soit elle-même logique. Et même si l’on voulait s’interdire toute hiérarchie en déclarant que toutes les logiques sont également logiques, l’on ne pourrait encore dire cela qu’en référence à un concept et un seul : car une telle appréciation signifierait, soit que les pensées ou doctrines en question satisfont au même degré les exigences de la logicité comme telle, et donc que leur égalité entre elles consiste dans l’égale adéquation de chacune au même et unique concept ; soit qu’il n’existe aucun concept du logique en général et comme tel, mais dans ce cas, l’on doit s’interdire non seulement de les hiérarchiser, mais encore de qualifier aucune d’elles de « logique » : car affirmer l’inexistence de ce concept, c’est avouer que l’on ne sait absolument pas ce qui est logique ou non. Lors donc que, par exemple, le logicien moderne dit que la pensée de Hegel constitue ou entraîne une « déviation de la logique » [12], ou bien il s’appuie pour dire cela sur la connaissance de ce qui est logique et de ce qui ne l’est pas, donc sur la connaissance du (seul et unique) concept de logique : alors son jugement est, sinon vrai, du moins susceptible d’être vrai, car il existe alors quelque chose par rapport à quoi il peut y avoir déviation ; ou bien il ne s’appuie pas sur une telle connaissance, et alors son jugement est dépourvu de contenu intelligible.
   L’affirmation devenue courante de l’irréductible pluralité des logiques modernes et, par suite, de l’impossibilité de ramener cette diversité à l’unité [13], ne saurait donc être, telle quelle, prise au sérieux. On a beau déclarer que, les systèmes étant divers de par leurs éléments et le genre de relations qu’ils établissent entre ces derniers, seule subsiste l’exigence de cohérence interne, il reste que cette cohérence est précisément ce qui définit alors le logique comme tel, et qu’il y a une et une seule définition de ce qui est cohérent et de ce qui ne l’est pas (si on le nie, l’on retombe dans les difficultés qui viennent d’être indiquées à propos du logique lui-même). Rien n’est plus étonnant que de voir les logiciens invoquer cette notion de cohérence comme si son sens allait de soi, comme si son emploi avait une vertu clarificatrice immédiate, et pour ainsi dire magique [14]. En réalité, le sens de cette notion demande à être élucidé, surtout si l’on en fait plus ou moins implicitement la pierre de touche de la logicité même. Et si, tout en admettant l’unicité du sens de la notion de cohérence, l’on tient que cette cohérence une ne peut se réaliser qu’en des systèmes divers et irréductibles entre eux, l’on doit indiquer à cela une raison en vertu de laquelle l’on tiendra qu’il est logique qu’il n’y ait pas une logique mais plusieurs. Que si cette raison fait défaut, la diversité demeurera à l’état de simple fait, dont on ignorera s’il résulte de la nature même du logique, ou d’une méconnaissance au moins partielle de cette nature. Bref : ou bien il y a une raison logique à la diversité des logiques, et alors il y a bien une logicité que cette diversité ne supprime pas, mais dont elle tient au contraire sa source, et que, de ce fait, elle manifeste et confirme ; ou bien cette diversité reste sans raison logique, et alors elle est au pire illogique (c’est-à-dire contraire à la logicité de la logique), et au mieux alogique (c’est-à-dire comme un fait qui, s’il n’est pas incompatible avec la logicité de la logique, n’a cependant pas sa raison d’être en celle-ci) : mais dans ces deux derniers cas, la pluralité sera non logique. D’une façon comme d’une autre, il y a donc de toute nécessité une logicité, et une seule [15].

 

La nécessité comme contenu du concept de logique

   Les caractères que l’on a coutume d’attribuer au logique, soit explicitement et pour le définir, soit de manière immédiate et irréfléchie, tels que « rigoureux », « exact », « cohérent », etc., se ramènent en fait à un seul, qui du reste donne à ces caractères un sens et une clarté dont ils seraient sans cela dépourvus : c’est le caractère de la nécessité. La logique se définit simplement comme la pensée qui établit ou, plus justement, discerne ce que toute pensée pense nécessairement.
   Est nécessaire, de façon d’abord tout à fait générale et comme on le sait, ce qui ne peut pas ne pas être – étant admis que « être » n’a pas d’emblée ici un sens ontologique : les relations qui existent entre les différentes parties du triangle, par exemple, sont nécessaires, en ce sens que, étant donnée la nature de l’espace géométrique dont il s’agit, elles ne peuvent ni ne pas être, ni être autres, sans qu’il s’ensuive pour cela qu’il existe effectivement aucun triangle. De même, les calculs qu’effectue le logicien débouchent sur un résultat qui, compte tenu des caractères fondamentaux du cadre conceptuel à l’intérieur duquel il travaille, est celui-ci et non un autre, et qui ne peut absolument pas être autre. Si même il arrivait qu’un calcul conduisît à plusieurs résultats également justes, ou à aucun résultat, cela devrait encore être l’effet d’une certaine raison, de sorte qu’il s’agît bien là de l’issue nécessaire du calcul, et non pas d’une issue qui aurait pu être autre si un autre logicien, ou le même logicien affecté d’une humeur différente, avait procédé au calcul.
   Ces remarques élémentaires suffisent à dissiper l’essentiel des obscurités et des faux problèmes relatifs à la fameuse catégorie de la modalité. On appelle « modalités » les déterminations du nécessaire, du réel et du possible (avec leurs négations respectives). Depuis Kant et en dépit des réfutations apportées sur ce point par Hegel, il est convenu de considérer que la modalité est, d’une part, une détermination qui peut s’appliquer seulement à un élément particulier, considéré immédiatement et isolément (telle proposition, tel événement précis et « concrets »...), et d’autre part, une détermination surajoutée et subjective, qui reste extérieure et indifférente à la nature et à la définition mêmes de la chose, ne fournissant d’indication qu’à propos de la façon dont la chose se présente pour notre faculté de connaître [16]. Les courants de la logique moderne qui en restent à une telle compréhension de la modalité, et qui font consister la logicité exclusivement dans les relations entre des symboles (la « forme »), tiennent que la modalité en général, et la nécessité en particulier, sont à rejeter hors du champ de la logique, puisqu’elles ne peuvent concerner, selon eux, que des éléments individuels concrets (des « contenus ») pris isolément, et pris, qui plus est, sous un angle seulement subjectif – c’est-à-dire dans leur relation au sujet. Dans une telle perspective, en effet, la seule caractéristique d’un élément (p, q, etc.) qui mérite d’être prise en compte est celle qui retentit sur sa relation avec les autres, à savoir sa « valeur de vérité ». Tout ce qu’il y a à savoir d’une proposition, c’est si elle est « vraie » ou « fausse », vérité et fausseté étant prises comme des caractères immédiats et sans rapport avec le contenu déterminé des propositions en question. Ainsi, qu’un élément soit déterminé comme nécessaire ou comme possible, cela ne change rien aux calculs dans lesquels il intervient – puisque sa « définition » ou son « concept » restent censément intacts : ces déterminations ne jouent donc aucun rôle logique [17].
  
Mais il est immédiatement visible que cette éviction de la notion de nécessité est alors motivée par le souci de garder aussi intactes que possible la « rigueur » et l’« exactitude » de la logique, c’est-à-dire sa nécessité. C’est pour que règne la nécessité (de la forme) que l’on exclut la considération de la nécessité (du contenu). Cette dernière est tenue pour une nécessité qui, pouvant aussi bien être que ne pas être, n’en est pas une : une même chose est considérée comme pouvant être nécessaire, ou bien réelle, ou bien possible, sans que cela ne change rien à ce qu’elle est, si bien que, pour une pensée qui ne veut envisager que ce qu’elle est – sa simple définition ou son simple « concept » – il est contingent qu’elle soit nécessaire ou non. Mais alors, loin d’être repoussée hors du champ de la logique, la nécessité est implicitement invoquée comme l’instance décisive permettant de discerner ce qui doit entrer ou non dans ce champ. Et il ne peut en aller autrement : la logicité de la logique consiste de fond en comble dans le caractère nécessaire des résultats obtenus. Une quelconque décision en matière de logique n’est admissible qu’à condition d’être faite en fonction de cette exigence, et du reste, de fait, tous les logiciens s’efforcent d’atteindre des résultats qui y soient conformes [18].
   La nécessité est donc présente au cœur des systèmes qui verbalement l’excluent, et elle est même en vérité ce qui motive cette exclusion ; mais cette présence et ce motif restant alors inaperçus des logiciens eux-mêmes, la nécessité demeure à l’état d’instance ininterrogée, dont on use sans le savoir [19]. Il est toutefois des logiciens qui, comprenant l’impossibilité de laisser la « modalité » – et avant tout, la nécessité – à l’extérieur de leur système, tentent de l’intégrer de façon consciente et explicite en celui-ci. Mais la nécessité est alors aperçue seulement comme ce à quoi il faudrait faire une place dans le système, comme un concept parmi d’autres et non pas comme l’âme du système, comme ce en quoi se concentre l’essence même de la logicité. Aussi se trouve-t-on d’emblée dans cette situation fausse, consistant en ce que le concept de nécessité doit se conformer à une conception de la logique déjà élaborée indépendamment de lui – et dont on voit mal, du coup, en quoi sa logicité pourrait bien consister. L’inévitable conséquence de ce traitement de l’idée de nécessité est que celle-ci, au lieu d’être respectée, se trouve violentée et défigurée. Aussi Blanché n’a-t-il guère de mal à montrer qu’au terme de ce genre de tentative, ce qui se trouve intégré dans le système n’est pas la nécessité, mais seulement quelque chose qui lui ressemble superficiellement. C’est le cas chez B. Russell, lorsque celui-ci tente de définir la nécessité en termes purement extensifs et quantitatifs, comme le caractère de ce qui est « toujours vrai », un énoncé « nécessaire » étant alors un énoncé « vrai pour tout p » [20] ; c’est le cas aussi chez L. Henkin, pour qui, exactement de la même façon, la nécessité n’a qu’un sens quantitatif : est nécessaire ce qui se trouve être vrai dans tous les cas [21]. La méprise consiste chaque fois en ce qu’une simple universalité de fait (empirique) est confondue avec l’universalité de droit (véritable, rationnelle). Rien, pourtant, n’est plus clair que cette différence, ni plus classique [22] ; aussi s’étonne-t-on de la voir ici si complètement méconnue, et d'avoir à en rappeler brièvement le contenu. D’une part, il est bien souvent impossible de procéder au constat de la façon dont il en va dans « tous les cas », le nombre des cas possibles étant indéfini : ainsi, en géométrie, des triangles dont on affirme qu'en tous la somme des trois angles est égale à deux droits. Mais d’autre part et surtout, quand bien même cette mesure exhaustive serait possible et effectivement réalisée, l’on n’aurait encore aucunement établi par là le caractère de nécessité de l’affirmation en question. Que quelque chose se rencontre dans tous les cas, cela ne suffit certes pas à montrer qu’il doit nécessairement en aller ainsi : il y faut – et il y suffit – l'indication de la raison en vertu de laquelle il est impossible qu'il en aille autrement ; dans le cas du triangle, la proposition « la somme des trois angles d’un triangle est égale à 180° » n’est nécessaire que pour autant qu’elle est déduite de la constitution même du triangle, comme tel, de sorte qu'il n'est pas possible d'être triangle sans la vérifier. Démonstration qui, loin de requérir l'examen de tous les triangles, s'établit par l'étude d'un seul.
   A s’en tenir à ces remarques, soit la logique moderne croit se passer de la nécessité alors qu’elle y recourt – ou mieux : est immergée en elle –, soit elle croit l’intégrer en elle alors que celle-ci, en vérité, lui échappe. Les différents courants de la logique moderne ne semblent se distinguer que par l’illusion à laquelle ils adhèrent, celle de se mouvoir à l’extérieur de la nécessité ou celle de l’inclure en eux. Mais soit faussement absente, soit faussement présente, la nécessité, et avec elle la logicité de la logique, est méconnue dans les deux cas. Cette double défaillance est-elle accidentelle, ou tient-elle à l’essence même de la logique moderne ? Dans quelle mesure est-elle donc à concevoir elle-même comme nécessaire ? Qu’en est-il, à cet égard, de la logique hégélienne ? C'est une détermination plus précise du contenu du concept de nécessité qui, seule, peut permettre d'en décider ; et à cet égard trois points essentiels et indissociables s'imposent à l'examen.

 

Le contenu du concept de nécessité

   Premièrement, la nécessité existe évidemment sous les espèces de liens entre des éléments, et en ce sens elle réside dans la forme. Qu'il s'agisse de faits, de propositions, de prédicats, il y a nécessité pour autant que ces éléments sont liés les uns aux autres d'une manière et dans un ordre qui ne peuvent ni être autres, ni ne pas être. Mais à elle seule cette nécessité de la forme ne peut être que la forme de la nécessité, non sa pleine présence. On le comprend en s'avisant que, si l'on en reste là, les liens restent extérieurs et indifférents au contenu auquel ils « s'appliquent », de sorte qu'il n'y a aucune nécessité pour les éléments eux-mêmes d'avoir cette forme plutôt qu'une autre. Tout comme dans une mécanique – mais au classique exemple de l'horloge peut être substitué sans inconvénient notre moderne ordinateur –, où les pièces reçoivent de l'extérieur un agencement qu'elles n'appellent pas d'elles-mêmes, dans un système logique moderne les éléments sont ce qu'ils sont indépendamment des liens établis entre eux ; pour chacun, être en relation directe avec tel autre, et de telle manière déterminée, cela est un simple fait imposé extérieurement et sans lien nécessaire avec ce que lui-même est. Or il n'y aura de nécessité que si les liens qu'un élément entretient avec d'autres est appelé de l'intérieur de lui-même, de sorte qu'il ne puisse être, ni être ce qu'il est, sans ces liens : alors seulement l'on pourra dire en toute rigueur que les liens en question ne peuvent pas ne pas être.
   C'est pourquoi, deuxièmement, la pleine présence de la nécessité exige non seulement qu'il y ait des liens entre les éléments, mais en outre et pour ainsi dire qu'il y ait des liens entre les liens et ce qu'ils lient. Non pas, certes, qu'il faille additionner de nouveaux liens aux précédents – ce qui entraînerait une accumulation à l'infini ne faisant que reconduire le déficit de nécessité : mais il faut que soit vue et manifestée la consubstantialité des liens et de ce qu'ils lient. Ainsi en va-t-il dans un être vivant, où les éléments (organes, etc.) ne sont nullement étrangers aux relations qui existent entre eux, mais ne peuvent eux-mêmes exister sans ces relations et hors d'elles ; et où, réciproquement, les relations n'ont aucune existence ni réalité propres en-dehors de ce qu'elles lient. A vrai dire dans un tel tout organique, éléments et relations ne sont plus à regarder comme deux choses radicalement distinctes, dont l'une viendrait « s'appliquer » à l'autre, mais les secondes ne sont qu'un prolongement des premiers, une manifestation de l'être intérieur de ceux-ci. A tout le moins doit-on admettre qu'il y a plus de nécessité lorsque les liens entre les éléments sont inhérents à l'essence même de ces derniers, que lorsqu'ils y demeurent étrangers. Mais une telle concrétion suppose évidemment que les éléments soient d'une nature telle, qu'ils engendrent eux-mêmes les liens qui s'établissent entre eux : autrement dit, qu'ils aient une intériorité, un contenu substantiel, et donc qu'ils soient bien autre chose que des « p » ou des « q ». Ces derniers, abstractions vides, simples points d'applications des relations, sont les figures absolument désincarnées du « ce qui est lié », celui-ci n'étant encore toléré que sous ces espèces fantomatiques et presque dans le regret de ne pouvoir l'abolir complètement [23]. Il faut bien que quelque chose soit mis en relation avec quelque chose pour qu'un quelconque embryon de discours en vienne à exister. En n'admettant comme contenu que des signes ou des symboles du « ce qui est lié » comme tel, pur et vide, l'on espère que l'infinie minceur du lié assurera l'infinie nécessité des liens : comme si ces derniers devaient être d'autant plus solides que ce qu'ils lient se rapproche davantage du néant ou se résume davantage à la pure fonction d'« être lié ». Mais comme l'analogie avec le vivant aide à le comprendre, la force des liens ne leur vient pas, en vérité, de leur aptitude à courber sous leur joug des éléments suffisamment affaiblis pour s'y prêter, ou même façonnés tout exprès pour y être dociles, mais, à l'inverse, de leur entière soumission à la puissance interne de ceux-ci : soumission qui va jusqu'au renoncement à toute existence et à toute consistance propres, en-dehors d'eux, jusqu'à l'acceptation d'être seulement la forme que ce contenu lui-même se donne. Alors, et alors seulement, le lien provenant de l'intérieur même de ce qu'il lie, les deux sont effectivement liés, et le second n'est tenu sous l'emprise du premier que dans l'exacte mesure où il en est lui-même la source et la raison d'être [24].
   Il peut sembler que c'est bien ce qui se produit dans la logique moderne, sinon au niveau des liens entre les éléments « atomiques » (les p, q, x, y, etc.), du moins au niveau des liens entre les formules ou combinaisons, c'est-à-dire entre des éléments comportant en eux-mêmes une ou plusieurs articulations ; car alors les liens ne sont plus sans aucun rapport avec ce qu'ils lient mais apparaissent comme étant appelés par le contenu lui-même [25]. Toutefois il en va là comme dans une machine où les éléments, une fois extérieurement assemblés, produisent des effets qui découlent de l' « intérieur » de la combinaison ainsi formée. Une fois assemblés les rouages d'une horloge et ajoutée la force qui va les mouvoir, le « tout » ainsi formé va « nécessairement » donner l'heure ; c'est ce qui faisait dire à Descartes que « lorsqu'une montre marque les heures (…) cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire ses fruits » [26]. Mais le fruit est lui-même l'arbre en puissance, non un résultat extérieur et autre ; le processus ici à l’œuvre est immanent et constitue le point culminant d'une production de soi par soi. La montre quant à elle ne produit évidemment pas une montre en puissance, c'est-à-dire son propre principe intérieur rassemblé en une unité grosse de ses multiples éléments différenciés – car une telle intériorité n'existe précisément pas en elle. De même, le résultat du calcul n'est pas l'ensemble du processus réuni avec lui-même et concentré en un point (comme l'est le fruit), mais un autre élément, en soi indifférent à ce dont il découle, qui est ce qu'il est indépendamment de ses relations avec le reste.
   Bien différente d'un tel mouvement restant toujours extérieur à ce qu'il meut, la nécessité vraiment comprise n'existe et ne s'effectue que sur le mode du déploiement, non de l'application [27] : elle ne peut être que processus de différenciation d'une unité fondamentale à partir d'elle-même, dont relations et éléments, forme et contenu sont seulement des aspects ou des moments, qui de ce fait ne peuvent ni ne pas être, ni être autres, ni être les uns sans les autres. La nécessité n'est à vrai dire rien d'autre que cette identité avec soi toujours maintenue au travers de la différenciation de soi. Une chose ne découle nécessairement d'une autre que si celle-là, par rapport à celle-ci, n'est pas vraiment autre, mais est seulement une manifestation, jusque là restée en puissance (ou « en soi »), de l'essence même de cette dernière, et donc fondamentalement identique à celle-ci [28]. Une troisième conséquence remarquable en résulte. Fruits d'un même et unique mouvement de différenciation interne, les liens ne peuvent être simplement juxtaposés les uns aux autres, définis et posés indépendamment les uns des autres, mais doivent être eux-mêmes liés entre eux, de sorte qu'il y ait une raison pour qu'ils soient ainsi plutôt qu'autrement, tant dans leur nombre que dans leur nature. Les « lois de la pensée », les types de liens pouvant exister entre les éléments, s'ils restent à l'état de simple liste sur le mode du « il y a tel lien (par exemple l'implication) et aussi tel autre (par exemple la conjonction) », apparaissent comme quelque chose qu'il faudrait seulement constater, et ainsi comme contingents. En quoi il s'avère que, séparée abstraitement du contenu, la forme en vient immanquablement à se séparer d'elle-même, à se fractionner en éléments formels disjoints – en liens que rien ne lie entre eux [29]. Seule, à l'inverse, une co-appartenance originaire du contenu et de la forme rend possible, nécessaire et effectif le maintien de l'unité au travers de la multiplicité de leurs figures ; seule cette unité donne sens et réalité à la notion de nécessité, en produisant et en justifiant tous les aspects en lesquels elle se déploie : éléments, liens entre les éléments, liens entre les éléments et leurs liens, liens entre les liens eux-mêmes ; et seule cette omniprésence de la nécessité constitue de manière pleine et entière la logicité de la logique, le logique comme tel.
   Or c'est là ce qui reste inaccessible à toute « logique » qui sépare a priori forme et contenu, qui ne peut concevoir leur rapport que comme « application » de l'une à l'autre, et se trouve ainsi en triple déficit de nécessité comme on vient de le voir – non pas accidentellement mais d'une manière elle-même nécessaire [30]. C'est ce qui s'accomplit au contraire lorsque, comme c'est le cas chez Hegel et chez lui seul, la logique est comprise et élaborée « non pas en tant que pensée formelle mais en tant qu'elle est la totalité en développement de ses déterminations et lois propres, qu'elle se donne à elle-même » [31]. L'usage du réfléchi marque à lui seul, si l'on y est attentif, la spécificité de la pensée ici à l’œuvre : l'engendrement de soi et l'absolue continuité avec soi, à chaque instant et à chaque pas, d'une pensée qui ne combine pas des éléments qu'elle trouve ou qu'elle fabrique mais qui laisse se disposer et s'articuler les constituants qu'elle sécrète – c'est-à-dire qu'elle engendre comme ce que toute pensée pense nécessairement. Parce que la logique est un tel mouvement de production de soi de la pensée, en elle « les termes liés l'un à l'autre ne sont pas, en réalité, étrangers l'un à l'autre, mais ne sont que des moments d'un unique tout, dont chacun, dans sa relation à l'autre, est auprès de lui-même et se joint à lui-même » [32]. Ainsi chaque terme n'est-il lié à un autre que pour autant qu'il le réclame, qu'il contient en lui l'exigence d'un tel lien et ne fait, en se liant à cet autre, que devenir et se maintenir lui-même. Inversement, la rupture de ces liens n'a point pour résultat le simple isolement des éléments, comme s'ils continuaient d'exister en étant désormais « non liés », mais une telle rupture provoque leur altération et même leur disparition : ils cessent d'être ce qu'ils sont, et même d'être tout court, confirmant ainsi que leur être même est directement en jeu dans leur lien avec le tout – de même qu'une main s'altère et se décompose lorsqu'elle est extraite (ou ab-straite) du corps en lequel seulement elle a son sens et son être [33].
   La pensée ne peut décidément être logique, c'est-à-dire nécessaire, que dans la mesure où elle se constitue, dans son élément propre, de la même manière qu'un organisme vivant se réalise dans le sien, à savoir comme un processus immanent : rien ne le montre plus clairement que l'admirable étude effectuée par Hegel de la notion de jugement, et la déduction qu'il opère des différentes espèces de celui-ci. « Le jugement est habituellement considéré comme une liaison de concepts », mais d'une manière qui, dans la logique moderne, pèche doublement : d'une part, en ce que la liaison est considérée comme étant établie de l'extérieur (c'est nous qui attribuons tel prédicat à tel sujet), et reste donc contingente par rapport aux termes entre lesquels elle prend place ; d'autre part, en ce que ces termes, appelés « concepts », sont vus comme des points à la fois isolés et inertes (« existant pour eux-mêmes aussi sans la liaison ») [34]. Mais loin d'être une telle opération artificielle, le jugement est à appréhender comme « acte de déterminer le concept » qui provient du concept lui-même, sujet et prédicats n'étant que ses moments constitutifs se déployant et se liant entre eux [35] ; que leurs liens leur soient consubstantiels, c'est ce que manifeste la copule : le sens évident – mais ordinairement inaperçu ou incompris – de celle-ci est de nier non seulement l'indifférence des termes les uns à l'égard des autres, mais leur altérité même, en affirmant que l'un est l'autre [36]. Quand ce lien est brisé, non seulement le prédicat cesse d'être, comme on l'a vu avec l'image de la main coupée, mais le sujet lui-même, qui avait déposé en lui sa substance, n'est plus ce qu'il est – et lorsque c'est l'un de ses organes vitaux qui lui est ainsi arraché, il n'est plus du tout. Dissolution du jugement, pourrait-on dire, qui confirme par contraste la teneur ontologique de la copule : la manière dont il meurt révèle de quoi il vivait. Le jugement est bien l'auto-développement du concept, qui de son côté est le jugement encore seulement enveloppé, tout comme « le germe d'une plante contient déjà en vérité le particulier constitué par la racine, les branches, les feuilles, etc., mais ce particulier n'est encore présent qu'en soi et n'est posé qu'en tant que le germe s'ouvre, ce qui est à considérer comme le jugement de la plante » [37].
   Le logicien hégélien, vrai jardinier du concept, ne fabrique et n'assemble pas plus ses jugements que l'horticulteur ne le fait de ses fleurs et de leurs éléments. Il ne fait pas son objet, il l'aide à se faire, le cœur et le moteur du mouvement n'étant nulle part ailleurs qu'en celui-ci ; et s'il en est l'assistant, c'est au titre de celui qui contemple au moins autant qu'au titre de celui qui prête main forte : « De même que, dans le cas du vivant en général, tout est, de manière idéelle, déjà contenu dans le germe, et est produit par celui-ci même, non par une puissance étrangère, de même aussi toutes les formes particulières de l'esprit vivant doivent [nécessairement] se développer à partir de son concept comme de leur germe. Notre pensée mue par le concept demeure, alors, totalement immanente à l'ob-jet pareillement mû par le concept ; nous ne faisons en quelque sorte qu'assister en spectateur au développement propre de l'ob-jet (...). Le concept n'a besoin, pour sa réalisation effective, d'aucune incitation extérieure » [38]. Une telle assistance, un tel cultus aussi vigilant que discret ne sont en aucun cas à prendre comme des images poétiques et approximatives de la marche à suivre, mais constituent « la seule méthode scientifique. Si, dans les sciences empiriques, le matériau est accueilli de l'extérieur (…) puis ordonné suivant une règle universelle déjà fixée, et introduit dans une connexion extérieure, par contre la pensée spéculative doit montrer chacun de ses ob-jets et le développement de ceux-ci en leur nécessité absolue. Ce qui se produit en tant que chaque concept particulier est dérivé du concept universel se produisant et s'effectuant lui-même, ou de l'Idée logique » [39].
   Le terme « spéculatif » employé ici par Hegel est lourd d'un sens qu'il faut expliciter, afin que la nature du logique soit mise en pleine lumière et qu'achèvent de se justifier les résultats de la comparaison ici menée entre logique hégélienne et logique moderne.

 

La logique comme ontologie spéculative

   Est appelée spéculative, chez Hegel, la pensée dont l'image adéquate est celle d'un cercle, en ce sens qu'elle fait retour sur elle-même, se reprend et se comprend elle-même dans son unité après s'être intérieurement différenciée en une multiplicité de moments et s'être momentanément dispersée en eux. C'est donc la pensée formant un tout organique (ou concret) s'engendrant lui-même, en lequel chaque élément est lié de l'intérieur avec tous les autres, de sorte que le tout ainsi formé est en relation active avec lui-même ; de sorte, aussi et surtout, que la pensée est pleinement consciente d'elle-même, sachant exactement à chaque instant ce qu'elle fait et pourquoi elle le fait. Le mouvement suivant lequel les termes et les liens rejettent eux-mêmes, de l'intérieur, leur isolement et même leur altérité réciproques, considéré pour lui-même, est appelé pour sa part dialectique ; c'est lui qui est source de la seule nécessité digne de ce nom, la nécessité immanente [40], et il est inclus dans le spéculatif comme son âme : l'activité par et sur soi-même (le dialectique) s'accomplit comme repos en soi-même (le spéculatif) – repos non point immobile et mort, mais tout palpitant de la vitalité en lui conservée. Par opposition à cette pensée qui s'engendre et se pense elle-même, Hegel appelle entendement la pensée non vraiment pensante, qui ne sait que trouver (et non produire) les éléments et leurs liens, les tenir séparés – littéralement abstraits – et les réunir ensuite de manière extérieure sur le mode de l'application. Incapable de rendre compte de lui-même, de la nature des éléments qu'il manipule comme de la nature des opérations qu'il leur inflige, l'entendement est la pensée qui regarde et avance « droit devant soi », ayant pour image la demi-droite plutôt que le cercle ; son résultat ne peut être qu'un assemblage qui, ayant son principe d'unité et d'animation à l'extérieur de soi, ferait entendre le silence du vide à qui voudrait en prendre le pouls [41].
  
Or si, comme on l'a vu, le logique consiste dans le nécessaire, et si le nécessaire n'est effectivement présent que comme déploiement d'une unité (le « germe ») en un tout (l'organisme vivant complet) seul digne d'être appelé système [42], il faut dire que le logique est spéculatif par nature, et il faut reconnaître dans la « logique » moderne une simple pensée d'entendement dont le produit ne peut être rien de véritablement logique – étant nécessairement grevé des déficits de nécessité indiqués plus haut. Encore faut-il considérer de plus près le spéculatif comme auto-compréhension de la pensée, afin de faire ressortir les deux exigences fondamentales auxquelles lui seul peut satisfaire : que la pensée soit douée de réflexivité, et que le contenu soit doué de la puissance d'engendrer ; car il ne peut y avoir de pensée vivante, c'est-à-dire nécessaire et donc logique, que comme pensée du vivant, c'est-à-dire d'un contenu substantiellement actif.

a. Contenu

   La logique moderne se veut indifférente à toute ontologie, c'est-à-dire à toute spécification du genre d'être sur lequel le discours porte, et à toute détermination de ce que veut dire « être ». Elle réduit l'être comme verbe au rôle de lien vide, indifférent aux éléments entre lesquels il prend place (c'est ainsi qu'elle envisage la copule dans le jugement) ; elle réduit l'être comme substantif à la pure immédiateté du « ce qui est » en général, ou plutôt de ce qui se résume au pur et simple fait d'être, en laissant justement de côté le « ce qui », le quid, la nature déterminée de l'objet qui est : c'est pourquoi on peut et doit désigner celui-ci par le plus mince des signes, une simple lettre [43]. Mais en vérité, loin de se tenir ainsi dans une pure neutralité ontologique, la logique moderne adopte et promeut bel et bien, sans le savoir, une certaine ontologie.
   Lorsqu'il prétend que son discours porte sur « tout », ou que son discours a une consistance propre indépendante de tout contenu, le logicien moderne ressemble au physicien pour qui la loi de la pesanteur s'applique à « tout ». Ce qui chute peut être une pierre, un chat ou un enfant, un criminel ou un saint homme : le calcul de la vitesse et de la direction de la chute n'en est aucunement affecté, celui-ci s'effectuant en fonction de paramètres qui sont communs à tous les corps (masse, densité, surface, etc.). Mais à y bien regarder, cela ne signifie pas que la loi de la pesanteur s'applique aussi bien au caillou qu'au chat ou à l'enfant, mais plutôt que pour elle tout est caillou. Car l'être qui est tel que l'on connaît tout ce qu'il y a à en connaître lorsque l'on connaît sa masse, sa surface, sa densité, etc., c'est le caillou et lui seul. Tout ce qui tombe, en tant qu'il tombe, n'est plus que la somme de telles caractéristiques, c'est-à-dire un être appartenant au même genre que le caillou : tout ce par quoi il en diffère (comme c'est évidemment le cas de l'enfant par exemple) est mis entre parenthèse et tenu pour n'étant pas. Autant cette abstraction méthodologique est ici légitime, autant il est patent qu'elle revient à élire un certain type d'être comme étant le seul dont on va s'occuper : celui de la chose, c'est-à-dire de l'être dépourvu d'intériorité, simple support de caractéristiques et de liens extérieurement reçus, point d'application de forces extérieurement exercées. Or en portant sur un contenu constitué d'éléments indifférents à leurs liens, la logique moderne adopte semblablement et de facto une ontologie de la chose : « chose » dépouillée par elle de toute matérialité sensible, mais précisément par là d'autant plus purement chose, réduite pas même à son concept mais à son symbole. Tout ce qui est chose peut être désigné par un « p », et tout ce qui est désigné par un « p » est, en tant que tel, une chose – et non pas tout être ni aucun être.
   Assurément et il faut le souligner, le règne de l'extériorité réciproque (du support et des qualités, des qualités entre elles, des relations et de ce qu'elles relient, etc.) est logique dans le cas de la chose, puisque cette extériorité est constitutive de l'être dont il s'agit. La chose se définit précisément par sa totale impuissance à décider de ce qui lui arrive, son absolue exposition à n'être que ce que l'extérieur fait d'elle ; aussi est-il conforme à son être qu'il n'y ait pas de lien nécessaire entre ce qu'elle est et ce avec quoi elle se trouve liée (ou avec sa forme), tout comme il est logique qu'il n'y ait pas de lien entre le degré de développement intellectuel d'un enfant et la manière dont il chute quand il est lancé dans le vide. Mais cette absence de lien étant ici une suite nécessaire de la nature de l'être en question, elle est à considérer en vérité comme un cas particulier qui vérifie le principe universel selon lequel il y a nécessairement un lien entre les liens et ce qu'ils lient – loin de le ruiner [44].
   Or la logique moderne fait de ce cas particulier le principe lui-même, érigeant en règle universelle que les liens sont ce qu'ils sont indépendamment de ce qu'ils lient, et que réciproquement les éléments sont ce qu'ils sont indépendamment de leurs liens ; quant au vrai principe – qui stipule le contraire – elle ne le voit ni n'en tient compte. Dans le même mouvement, elle érige la chose en modèle de l'être, ramenant tout ce qui est à un support, en soi vide, de qualités et de relations qui lui restent extérieures. Deux conséquences essentielles pour notre propos en découlent.
   D'une part, il y a bien en vérité un genre d'être pour lequel il y a adéquation entre ce que peut en dire la logique moderne (quel que soit le courant de cette dernière) et ce que cet être est : à savoir la choséité. Loin de s'affranchir de l'ontologie ou de l'englober, la logique moderne s'enferme sans le savoir dans un certain secteur de celle-ci, en le prenant pour le tout. Il lui arrive à cet égard la même mésaventure, et pour cause, qu'à propos de la nécessité : elle est incluse à son insu dans ce qu'elle croit exclure ou inclure en elle.
   D'autre part et corrélativement, ce type d'être qu'elle élève au rang d'universel, et ce secteur de l'ontologie dans lequel elle se tient enfermée, sont nécessairement bornés et insuffisants, en ce sens qu'ils sont le résultat d'une abstraction ou soustraction effectuée à partir de l'être complet, dont on exclut tout ce qui excède les possibilités d'une chose, en particulier tout ce par quoi un être est vivant (pour ne rien dire de l'être pensant) [45]. La chose est le vivant moins la vitalité ; à l'inverse, le vivant contient en lui la choséité comme dépassée et englobée dans une totalité qui la déborde ; il peut donc être traité comme une chose, car en un sens il en est une : mais c'est alors comme un non-vivant qu'il est traité, c'est-à-dire d'une manière qui laisse échapper l'essentiel de son être. Le physicien étudiant la chute d'un enfant appréhende l'enfant comme une chose qui tombe – avec raison, car un enfant devient une chose sitôt qu'il tombe ; ce qui fait qu'un enfant est un enfant est mis de côté, et seuls sont pris en compte les côtés de l'enfant qu'il a précisément en commun avec n'importe quel objet matériel. De même, la choséité abstraite, objet de la logique moderne, est obtenue en faisant fi de ce qui fait qu'une pensée est vraiment pensée, c'est-à-dire produite et saisie comme un tout organique – mais à tort cette fois, car l'ambition du logicien est précisément de présenter la pensée comme telle, dépouillée non pas de son essence mais de ce qui n'y touche pas.
   La logique moderne a donc bien un contenu ontologique, mais qui ne peut s'avouer comme tel et qui, par sa pauvreté constitutive, rend impossible la présence effective de la nécessité : ce contenu ne se produit pas mais est produit, la choséité abstraite en quoi il consiste est aussi extérieure à ce qui l'informe que la choséité physique l'est à ce qui la meut. Ainsi se dessine en creux le visage du véritable contenu de la logique selon Hegel : non pas ce qui est objet d'opérations extérieures (application, soumission, subsomption, etc.), mais ce qui est sujet de son propre développement, ce qui se produit soi-même à partir de soi. Un tel contenu, lui aussi, correspond bien à un certain genre de l'être, mais d'une manière qui diffère doublement de ce qui a lieu dans la logique moderne. Premièrement, le caractère ontologique du contenu est ici pleinement conscient et assumé : l'on comprend et l'on explique que toute pensée, qu'elle le sache ou non, porte nécessairement sur l'être, et que lorsqu'elle croit rester neutre à cet égard, elle ne fait que porter sur un certain genre de l'être tout en se le masquant à elle-même. Deuxièmement, ce contenu se présente comme n'étant plus l'être abstrait et appauvri, mais l'être véritable, complet, pris dans la plénitude de ses dimensions. Ce qui se produit soi-même à partir de soi est, bien plus réellement et plus profondément que ce qui résulte d'une production par autre chose [46]. En ce sens, il y a pour ainsi dire plus d'être en un vivant qu'en une chose, car en celui-là le fait d'être et ce qui est ne sont plus indifférents et extérieurs l'un à l'autre, comme ils le sont en celle-ci. Cela se comprend avec le plus de clarté au niveau des éléments : un organe étant engendré de fond en comble par l'organisme lui-même, on ne peut pas dissocier en lui ce qu'il est, sa définition précise et particulière, et le fait qu'il est, son existence brute. Il existe parce qu'il est ce qu'il est ; c'est parce qu'il est ceci et non cela qu'il en vient à exister.
   Ce contenu qui se produit soi-même à partir de soi, dont l'image adéquate est celle du vivant, est le concept au sens hégélien de ce terme – qui diffère fort de ce que la logique moderne entend sous ce nom. Chez Hegel en effet, ce n'est pas n'importe quelle représentation ou n'importe quelle idée qui peut être appelée « concept », mais seulement celle qui consiste en une unité qui engendre et contient en soi ses moments différenciés [47]. Ainsi par exemple, la nécessité est bien un concept : nous avons vu plus haut comment cette idée contient en elle une pluralité de déterminations liées entre elles, en particulier celles de l'identité et de la différence, articulées de telle sorte que la nécessité est identité avec soi se maintenant au travers de la différenciation de soi, et différenciation de soi qui est réalisation de l'identité avec soi. Aussi le terme de nécessité fait-il bien autre chose qu'indiquer un fait empirique ou une caractéristique immédiate, voués à être platement constatés : il désigne la constitution intime d'un être ou d'un processus, sa façon fondamentale et issue de lui-même d'être en rapport avec lui-même et avec le reste. Qualifier quelque chose de « nécessaire » est donc absolument d'un autre ordre que lui donner un nom ou désigner l'une de ses qualités [48]. Hegel considérait comme « barbare » le fait d'appeler concept quelque chose comme « cent thalers » [49] – et de mettre ainsi un tel nom-de-chose sur le même plan que des pensées comme « quantité », « qualité », « causalité », etc., appelées par ailleurs aussi bien des concepts. Adressée à Kant, cette remarque cinglante concernait par anticipation les logiciens modernes, pour qui n'importe quelle idée générale, comme par exemple « rouge », est un concept [50]. Pour saisir la différence, il n'est que de se montrer attentif au genre d'activité de l'esprit qui est requis dans chaque cas : est concept, en vérité, ce qui demande à être conçu, et concevoir est bien autre chose que nommer, décrire ou constater ; c'est comprendre, littéralement « prendre ensemble » un contenu maintenu en son unité dans la richesse de ses articulations internes, en discernant comment et pourquoi, de l'intérieur d'elles-mêmes, elles se lient entre elles et forment un tout. Encore faut-il précisément, pour appeler un tel regard de l'esprit, que le contenu comporte en lui-même une telle richesse ; il est immédiatement évident qu'un contenu aussi plat et immédiat que « rouge » ne comporte rien de tel : n'offrant rien à concevoir, mais au mieux une conjonction de faits physiques à constater et à nommer, il n'est pas un concept.
   En somme, alors que la logique moderne est une construction reposant inconsciemment sur une ontologie de la chose, la logique hégélienne se donne comme le développement conscient d'une ontologie du concept chaque mot devant ici être pris avec tout son poids. La chose étant le concept mutilé et immédiatisé, elle est, à tous les sens du terme, comprise dans la logique spéculative comme l'un de ses moments : celui dans lequel l'être, la nécessité et la pensée ne sont encore que les ombres d'eux-mêmes [51]. – Comme les remarques ci-dessus sur la conception le laissent déjà entrevoir, l'activité sur soi-même du contenu est immédiatement corrélative d'un retour sur soi-même de la pensée qui l'appréhende, d'une réflexivité dont on ne peut, pour finir, que constater la présence dans la logique hégélienne et l'absence dans la logique moderne.

b. Réflexivité

   Si la pensée n'est logique que dans la mesure où elle consiste à assister à l'auto-développement du concept, alors elle ne peut être logique que s'il n'y a pas de différence de nature entre elle-même et son objet. Elle ne doit penser rien d'autre qu'elle-même en le pensant, et l'on ne doit rien trouver dans la pensée pensante qui ne soit aussi dans la pensée pensée. En effet, l'objet examiné étant ici le sujet de sa propre constitution et la source de tout ce que l'on pense de lui, il faut dire que le pensé n'est pensé que comme étant lui-même pensant : le penser comme étant seulement pensé (passivement), ce serait ne pas le penser (ou penser autre chose que lui), puisque ce serait ignorer l'active spontanéité qui caractérise son essence. Réciproquement, envisager la pensée comme seulement pensante, comme une activité s'exerçant sur un objet, ce serait l'empêcher de voir que l'activité vient en vérité de l'objet lui-même. Cette identité du pensant et du pensé – qui constitue le caractère « absolu » de l'Idée logique hégélienne – signifie qu'il ne peut y avoir de discours sur la logique qui diffère en nature du discours de la logique, pas plus qu'il ne saurait y avoir, à l'intérieur de cette science, de vraie différence entre l'activité de l'objet et l'examen de cette activité. Il en découle qu'une logique incapable de parler d'elle-même ne peut pas être logique. Or il semble clair que tel est justement le cas de la logique moderne, quelle que soit sa forme ; toujours, en celle-ci, demeure une altérité irrésorbable entre l'objet examiné et l'examen que l'on en effectue, et jamais l'on ne peut parler d'elle sans aussitôt sortir d'elle. Qu'est-ce à dire ?
   Heidegger, en un propos fameux, faisait remarquer que la physique (mais aussi bien les mathématiques et l'ensemble des « sciences » au sens moderne du mot) utilise nécessairement des concepts qu'il lui est constitutivement impossible de définir – temps, espace, etc. –, et, plus radicalement encore, que la physique est par nature incapable de se définir elle-même. Les questions « qu'est-ce que le temps ? » et « qu'est-ce que la physique ? » ne peuvent recevoir aucune réponse à l'intérieur de la physique elle-même – et à vrai dire elles ne peuvent seulement pas y être posées. Heidegger en déduisait que « la science ne pense pas », sous-entendant ainsi que, pour être vraiment elle-même, la pensée doit être à même de s'interroger sur elle-même et sur chacun des éléments (concepts) en lesquels elle se constitue. Sur ce point précis et en son style propre, Heidegger ne faisait que reprendre à son compte l'exigence hégélienne fondamentale : les éléments de la pensée doivent être engendrés par elle – puisqu'elle doit pouvoir, à tout moment, en (re)manifester le sens et la raison d'être – , et non pas empruntés et adoptés comme des instances immédiates qui, utilisées pour poser des problèmes, seraient elles-mêmes soustraites à toute problématisation. Hégélienne encore était son affirmation implicite et immédiatement corrélative, selon laquelle seule la philosophie pense : autant la question « qu'est-ce que la physique ? » n'est pas une question de physique, de sorte que l'on sort du champ de cette dernière dès qu'on la pose, autant la question « qu'est-ce que la philosophie ? » est une question de philosophie, de sorte que pour la poser il ne faut pas sortir du champ de cette discipline mais, bien au contraire, s'engager en lui plus que jamais
[52]. En somme Heidegger, en cela fidèle disciple de Hegel, opposait à bon droit une pensée incapable de se penser elle-même et qui, de ce fait, n'en est pas (vraiment) une, et une pensée dont la pleine conformité à son essence se mesure au fait qu'à tous les sens du terme, elle se comprend elle-même ; il faisait ainsi de la réflexivité la pierre de touche de l'essence même de la pensée.
   Or les infirmités de la pensée « scientifique » pointées par Heidegger se retrouvent, et fondamentalement pour les mêmes raisons, dans la logique moderne. Celle-ci ne peut pas davantage définir le concept de nécessité ou celui de logicité, que la physique ne pouvait le faire des concepts de temps ou de physique. En ce sens il n'est pas excessif de dire qu'à l'instar de la « science » évoquée par Heidegger, la logique moderne est une pensée qui s'échappe à elle-même, qui ne sait rien d'elle-même et ne peut rien en dire. – C'est ce que révèle et dissimule tout à la fois la notion de « métamathématique », qui désigne le discours tenu sur les mathématiques par distinction du « discours » des mathématiques elles-mêmes
[53]. Cette notion suggère une différence tout en laissant dans le flou la nature exacte de celle-ci : suffisante pour que les mathématiques deviennent objet de discours (et soient donc regardées de l'extérieur), cette distance est cependant trop faible pour que ce discours puisse porter sur un autre objet que celui-là. La « métamathématique » est ainsi « au-delà » (méta) des mathématiques en un sens ambigu, son extériorité par rapport à son objet ne l'empêchant pas d'être rivée à celui-ci au point d'être condamnée à ne parler que de lui. Du fait de cette semi-extériorité, on ne sait d'abord pas si la « métamathématique » ne serait pas une sorte de discours des mathématiques sur elles-mêmes, ces dernières étant alors revêtues d'une aptitude à la réflexivité, ou s'il ne s'agit pas plutôt d'un discours d'une autre nature que les mathématiques, ce qui manifesterait au contraire l'incapacité des mathématiques à se prendre elles-mêmes pour objet. Or, qu'il s'agisse en fait d'une différence de nature, c'est ce qui semble incontestable. Le discours « métamathématique », en tant que tel, n'est composé d'aucun symbole (ou signe) mathématique mais de mots, et relève donc de l'ordre du concept ; pas davantage – et pour cause – il n'est astreint aux règles du calcul, mais seulement aux exigences de la nécessité conceptuelle. Il diffère ainsi du discours mathématique dans l'exacte proportion où le concept diffère du symbole (ou du signe), c'est-à-dire en nature et non par le degré : son contenu est absolument intraduisible dans les signes et selon les opérations des mathématiques elles-mêmes. Plus encore, il faut dire que le signe n'a de sens et de réalité que par le concept : pour effectuer calculs et opérations sur les « p » et « q » de la logique moderne, il faut savoir (ou plutôt décider) que ces lettres sont ici arrachées à leur statut de lettres et ne valent que comme signes immédiats, dépourvus de sens – voire comme le non-sens même érigé en signe. Or ce savoir ou cette décision relèvent du discours conceptuel, celui-ci choisissant de se mettre en retrait pour laisser place à un discours d'un autre genre, qu'il croit plus « rigoureux » et plus « logique » que lui-même. Le discours « métamathématique » est ainsi le discours non-mathématique qui non seulement porte sur le discours mathématique, mais qui littéralement le porte en lui insufflant l'intelligibilité et l'existence ; sans lui le discours mathématique serait impossible : ce dernier suppose en permanence un discours (presque toujours implicite) d'une autre nature que lui, dont il ne peut sembler indépendant que par oubli et abstraction [54].
   Mais, dépourvue de vraie réflexivité lors même qu'elle en offre l'apparence, la logique moderne suppose pourtant sa présence en amont d'elle-même. Il en va d'elle comme de la nécessité étudiée plus haut : la logique moderne ne peut ni la saisir pleinement ni s'en extirper tout à fait, astreinte qu'elle est à vivre de ce qui l'excède et à avoir, pour ainsi dire, son âme dans son dos. – C'est ce qu'illustre la fameuse distinction entre « dire » et « montrer » proposée par Wittgenstein, qui repose sur (ou découle de) la conviction de l'impossibilité de la réflexivité, c'est-à-dire de l'impossibilité, pour la pensée, de se prendre elle-même pour objet. Comparée à l'activité de peindre, dépeindre ou représenter, c'est-à-dire à une production d'images ou de descriptions, la pensée est alors vue comme engendrant un résultat
autre que l'activité elle-même, laissant cette dernière derrière soi comme une source vers laquelle elle ne peut refluer : la pensée ne pourrait aller que droit devant soi et déposer hors de soi ses propres produits. Assurément, le représenter n'est pas lui-même représentable, l'image ne peut représenter sa forme de représentation [55], le peintre ne peut déposer sur la toile l'activité-de-peindre elle-même ni l'être-peint comme tel : de tels modes de pensée et d'action sont effectivement incapables de s'exercer sur eux-mêmes et ne peuvent qu'être mis en œuvre, simplement effectués ou « montrés ». Mais ce qui est douteux, c'est que le penser soit, en vérité, comparable à une telle activité et qu'il soit affecté des mêmes limites que celle-ci. Si le représenter n'est pas représentable, il est cependant bien pensable, c'est-à-dire concevable, et cela par une pensée nécessairement capable de se penser elle-même : dans le cas contraire, il ne serait pas même possible d'en parler, de le comparer à ce qui n'est pas lui, en un mot de distinguer le « dire » et le « montrer ». Cette distinction présuppose la réflexivité dont elle suppose pourtant l'impossibilité. Ou bien, en effet, la différence entre dire et montrer peut être dite, et alors le « dire » est reconnu capable de s'exercer sur lui-même : non seulement l'un des termes comparés, il est en outre lui-même ce par quoi la comparaison est faite. Ou bien la différence entre dire et montrer peut seulement être montrée, et alors c'est le « montrer » qui est revêtu d'une capacité à se distancier de lui-même pour devenir son propre objet. Ou bien enfin cette distinction ne peut être ni dite, ni montrée, et relève d'un troisième genre : à propos de ce dernier se posera derechef la question de savoir par qui ou par quoi sa différence avec les deux autres est vue et formulée – et ainsi à l'infini [56]. Dans tous les cas, il y aura nécessairement à l’œuvre, au principe, une capacité du penser à s'interroger sur lui-même et à statuer sur lui-même, sans quoi ces distinctions et leur compréhension seraient impossibles.
   Reste que, dans l'optique qui vient d'être évoquée, cette nécessaire réflexivité est inaperçue. La pensée hégélienne, pour sa part, veut éviter le double écueil de n'en présenter que l'apparence ou de ne la laisser qu'apparemment absente : elle la reconnaît explicitement comme constitutive du penser et la prend en charge. Son propos est de la laisser s'exercer, et de laisser ainsi le penser
se constituer en toute lucidité et fidélité à sa propre essence, comme activité dont le résultat, indistinct d'elle-même, soit de fond en comble nécessaire et par là logique. A quel degré elle y parvient, c'est ce qui, par définition, ne peut être établi de l'extérieur : il n'y a pas d'autre vérification de la réflexivité d'une pensée que le parcours effectif de celle-ci – pas davantage qu'on ne peut éprouver la vitalité autrement que de l'intérieur. Et c'est sous réserve d'une vérification de ce genre que l'on risquera, pour finir, cette affirmation de portée générale : à l'opposé de ce qui caractérise constitutivement la logique moderne, il n'y a pas chez Hegel de différence de nature entre ce qu'est la logique et ce qui en est dit. Aucune des notions par lui employées pour parler de la logique, aucune affirmation sur la logique qui ne soit engendrée par la logique et présente en elle, au moins en droit
[57]. Son discours « métalogique », comme celui de ses préfaces ou introductions où il parle de la logique, entretient avec son objet un rapport tout autre que celui trouvé entre la « métamathématique » et le sien : car ce discours « métalogique » hégélien n'est différent de son objet qu'en apparence et provisoirement, se donnant non comme une explicitation qui lui resterait radicalement extérieure, mais comme une anticipation et une première apparition de ce contenu lui-même, dans une forme non pleinement logique mais sue et voulue comme telle [58]. Et à la fin ce qui semblait venir avant la logique et se tenir hors d'elle se montre comme résultant d'elle et comme relevant d'elle, comme étant le visage encore inapproprié qu'elle-même se donne pour se rendre accessible à qui n'a pas encore pénétré en elle. – En somme, la notion même de « métalogique » se révèle chez Hegel dépourvue de sens, sauf à y entendre le discours de la logique sur elle-même, le « méta » indiquant un écart compris (à tous les sens du terme ici encore) dans et par le logique lui-même.

 

   La question reste ouverte de savoir jusqu'à quel point Hegel a satisfait aux exigences réelles de la logicité, mais il semble acquis que lui seul a su voir et prendre en charge ces exigences en toute leur profondeur. On ne pourra sérieusement contester la réussite de sa tentative qu'en remplissant mieux qu'elle les conditions qu'elle a elle-même posées : on ne la dépassera qu'en passant par elle. Or la logique moderne passe à côté d'elle, avec ce qu'il convient d'appeler ici également une belle « assurance somnambulique », sans soupçonner que c'est de son propre cœur qu'elle se détourne ainsi. – Le jeune Wittgenstein disait que le logicien moderne est au logicien classique ce que l'astronome est à l'astrologue, ou le chimiste à l'alchimiste : image pour image, il faudrait plutôt dire que le logicien hégélien est au logicien moderne ce que le jardinier est au mécanicien, et admettre que seules les mains du premier sont aptes à saisir, sans l'écraser, le trésor de l'esprit vivant, logique et scientifique.


Gildas Richard
(écrire à cet auteur)
 

1. Non pas que les autres moments de son Encyclopédie (Philosophie de la nature et Philosophie de l’esprit) eussent été, aux yeux de Hegel, moins scientifiques que la Science de la logique ; mais c’est qu’il a voulu étudier et manifester en cette dernière, et en elle seule, la scientificité même en et pour soi, l’être-science de la science (le premier moment de l’Encyclopédie est le seul à être désigné comme science en son intitulé propre, mais l’Encyclopédie est bien celle des sciences philosophiques). Cf. la Science de la logique de l’Encyclopédie des sciences philosophiques, trad. B.Bourgeois, Paris, Vrin, 1986 (notée désormais SLE), .

2. Le jeune Wittgenstein disait que la différence entre la logique moderne et la logique classique est comparable à la différence entre astronomie et astrologie, ou entre chimie et alchimie (cf. R. Monk, Wittgenstein, Le devoir de génie, trad. A. Gerschenfeld, Paris, O. Jacob, 1993, p.84). Il est juste de préciser que tous les logiciens modernes ne souscriraient sans doute pas sans réserve à ce jugement.

3. Ainsi par exemple, R. Blanché et J. Dubucs parviennent à écrire une histoire de la logique dans laquelle il n’est consacré qu’un maigre paragraphe à Hegel (La logique et son histoire, Paris, A. Colin, 1996, p. 248). Après une présentation bien sommaire de la Science de la logique, les auteurs disent : « Les historiens de la logique, lorsqu’ils ne préfèrent pas la passer complètement sous silence, jugent sévèrement cette déviation de la logique ». Et de rapporter, visiblement en les faisant leurs, deux jugements selon lesquels la logique hégélienne est « une curieuse mixture de métaphysique et d’épistémologie (…) présentée comme étant de la logique » (Kneale) et un ensemble « d’excentricités dialectiques » (Jörgensen) — (nous traduisons). Dans son « Que sais-je? » sur La logique (Paris, PUF, 19982), J. Largeault ne mentionne pas une fois Hegel. Etc.

4. Voir par exemple B. Bourgeois, Présentation de SLE, pp. 84-85 en particulier.

5 . Et de ce qui fait la scientificité de la science. Par commodité, nous n’examinerons directement et pour elle-même que la logicité de la logique, la question de la scientificité de la science étant pour ainsi dire éclairée implicitement dans le même mouvement.

6 . Par exemple, faut-il rejeter hors du champ de la logique la théorie des ensembles, comme le préconise Quine ? Les notions modales, comme le fait Frege ? Faut-il y inclure ces dernières, au moins pour certaines d’entre elles, comme le propose Lewis ? La logique formelle et la logique réflexive, distinguées par Blanché, sont-elles deux parties de la logique ayant leurs objets propres, ou deux manières différentes de la concevoir (Raison et discours, Paris, Vrin, coll. « A la recherche de la vérité », 1967, pp.112-113) ? Etc.

7 . C’est le cas dans les histoires de la logique dont l’auteur expose des périodisations conçues en termes d’avancées, de reculs, de stagnation, sans prendre la peine d’indiquer le critère à partir duquel ces jugements sont effectués. Le critère est alors implicite, et consiste tout simplement dans l'état le plus récent de la discipline appelée « logique » : ce qui est pure pétition de principe. Cf. par exemple R. Blanché et J. Dubucs, op.cit., pp.7-10.

8 . Voir R. Blanché, Raison et discours, op.cit., l’ensemble du chapitre II (« L’option formaliste »).

9. En dernière instance, la capacité à inclure en soi ce concept comme son moteur et son âme (plutôt que d'être bâti d'après lui et en ayant celui-ci à l'extérieur de soi) devra cependant être reconnue comme une pierre de touche de la véritable logicité d'un système, comme le montrera la suite de cette étude.

10. On ne peut que s'étonner de voir, dans un ouvrage comme celui de R. Blanché (op.cit.), l'utilisation répétée de formules comme « authentiquement logique » (p.68), « raisonnable » (pp.71-72), « logique normale » (p.72), etc., sans que ces adverbes et adjectifs ne fassent l'objet de la moindre explication ni même de la moindre interrogation.

11 . Op.cit., p.7.

12 . Cf. Blanché et Dubucs, op.cit., p.248.

13 . J. Largeault parle de cette unification comme de quelque chose d’ « implausible » (sic), op.cit., p.12. Voir aussi p.117 : « Touchant la logique, la thèse de l’unicité semble condamnée ».

14 . Il en va de même pour des notions telles que « rigueur » ou « correction » ; ainsi chez Blanché dans Raison et discours, op.cit. : p.21 ; p.55 ; p.61 ; pp.70-71 ; p.94 ; p.114, etc.

15. De façon peu cohérente avec ses propos antérieurs et postérieurs dans le même ouvrage, J. Largeault en convient à demi-mot : « Peut-être la distinction entre les logiques dans la logique est-elle aussi illusoire ou artificielle qu’entre algèbre, analyse, géométrie à l’intérieur des mathématiques » (op.cit., p.83).

16. Cf. Kant, Critique de la raison pure, trad. A. Delamarre et F. Marty, Paris, Gallimard 1980, pp.254-55 (A 219 / B266) : « Les catégories de la modalité comportent ceci de particulier qu’elles n’augmentent nullement, comme détermination de l’objet, le concept auquel elles sont jointes comme prédicats, mais qu’elles expriment seulement le rapport à la faculté de connaître ». Frege, par exemple, entérine résolument ce point de vue.

17. Blanché, op.cit., p.29 ; p.31

18. R. Blanché a bien vu la profonde absurdité des pensées prétendant exclure la nécessité de la logique. Ainsi dit-il contre Frege : comment rejeter de la logique la considération de la nécessité « alors que c’est précisément leur nécessité qui caractérise les vérités logiques, et que ce qui fait la validité logique d’un raisonnement, c’est précisément la nécessité de l'entailment, du lien qui rattache la conclusion aux prémisses » ? (Raison et discours, op.cit., p.108). « En logique, il n’y a pas d’accident, tout est nécessaire. Quand manque, entre deux idées, ce lien nécessaire, affirmatif ou négatif, nous disons précisément qu’il n’y a pas entre elles de rapport logique, comme entre 2 + 2 = 4 et Londres est en Angleterre » (id., p.222).

19. La critique dont est justiciable l’attitude de ces logiciens modernes est identique à celle que Hegel adresse aux empiristes, qui croient s’abstenir de l’usage de concepts dont, en vérité, ils usent à chaque instant (sans s’en apercevoir) ; cf. SLE, § 38 et Remarque, pp.299-300.

20. Raison et discours, op.cit., pp.173-174.

21. Id., p.205.

22. Entre bien d’autres (parmi lesquels Kant), Hegel lui-même la rappelle à de nombreuses reprises : cf.p.ex. SLE, §20, pp.287-288 ; Addition au §24, p.475 ; §33, p.296 ; §39, p.300 ; §71, Remarque, p.335 ; Add. au §175 p.599.

23. Cf. E.Nagel et J.R.Newman, La démonstration de Gödel, in Le théorème de Gödel (et al.), Paris, Le Seuil, « Points sciences », 1989, pp.36-37.

24. De ceci l'on trouve une intuition chez Blanché, ce dernier réclamant qu'il y ait entre les propositions « une certaine connexion de significations », un lien de « congruence » ou de « pertinence » (c'est-à-dire que leurs contenus eux-mêmes justifient leurs liens) ; mais ce type-là de lien est aussitôt vu par lui comme tombant « hors des prises de toute syntaxe logique » (op.cit., p.200) – alors que selon le même auteur c'est précisément en lui que réside la logicité même (p.222).

25. Soit par exemple la formule ((p>q).p)>q, pouvant se traduire (entre mille autres possibilités) par « si s'il fait jour il fait clair et il fait jour, il fait clair » (Blanché et Dubucs, op.cit., p.16). Le dernier lien (le deuxième « > ») n'est pas aussi indifférent à ce qu'il lie que ne le sont les deux premiers (le premier « > » et le « . ») : il n'est pas purement apporté de l'extérieur mais découle en quelque façon de ce qui le précède.

26. Les principes de la philosophie, IV, §203, in Œuvres philosophiques, éd. F. Alquié, Paris, Garnier, 1973, t.III, p.520.

27. Ou de la « soumission » à une loi comme le veut Wittgenstein (Tractatus logico-philosophicus, 6.3).

28. Voir plus bas la remarque sur le sens de la copule dans le jugement selon Hegel.

29. Ces « éléments de forme », qui vont servir à introduire de la nécessité dans la masse des « éléments de contenu », sont eux-mêmes dépourvus de nécessité. Comme les catégories de l'entendement dans le système de Kant, ils sont simplement posés, affirmés, et non déduits ni prouvés (SLE, op.cit., Rem. du §42, p.303). Ainsi par exemple X. Verley énumère-t-il, à propos de la « logique des propositions », une liste de cinq « fonctions de vérité », sans souci de les déduire ni de les justifier (Logique symbolique, Paris, Ellipses, coll. Philo, 1999, pp.14-15). Or « si la pensée doit être capable de prouver quoi que ce soit, si la Logique doit exiger que des preuves soient données et si elle veut enseigner l'opération de la preuve, il faut bien qu'elle soit capable avant tout de prouver son contenu le plus propre, de discerner la nécessité de celui-ci » (SLE, op.cit., Rem. du §42, p.303 ; c'est Hegel qui souligne).

30. Par rapport à ce qui est dit ici des rapports entre forme et contenu, les différences entre les courants de la logique moderne sont négligeables. On appelle couramment « formelle » l'une des logiques modernes, comme s'il en existait d'autres qui, elles, ne le seraient pas (ainsi Blanché distingue-t-il et oppose-t-il logique formelle et logique réflexive : Raison et discours, op.cit., p.94 et passim). Mais en vérité toutes les productions de la logique moderne sont formelles, y compris celles appelées « réflexives » : car ces dernières, tout autant, n'adoptent pour contenu que des éléments par essence extérieurs à leurs liens, et c'est en cela que le véritable formalisme consiste.

31. SLE, op.cit., §19 p.283. Cf. également §14 p.180.

32. Id., Add. au §158, p.589 (c'est Hegel qui souligne).

33. L'exemple, emprunté à Aristote, est plusieurs fois repris par Hegel : p.ex. Esthétique, trad. C. Bénard/B.Timmermans et P.Zaccaria, Paris, Livre de poche, tome I, 1997, p.189 ; SLE, op.cit., Add. au §216, p.616.

34. SLE, op. cit., Add. au §166, p.594.

35. Id., §165 p.412.

36. Id., §§166 et 167, pp.413-414.

37. Id., Add. au §166 p.595. Ainsi par exemple, dire « l'or est un métal », c'est laisser un élément singulier manifester l'universel qui constitue son essence : « (…) la métallité constitue la nature substantielle de l'or, sans laquelle lui-même, avec tout ce qui par ailleurs est en lui ou peut être énoncé de lui, ne peut avoir de consistance »(id., Add. au §177 p.600). Et c'est, dans le même mouvement, laisser cet universel dévoiler l'une des formes particulières qu'il peut prendre.

38. La philosophie de l'esprit, in Encyclopédie des sciences philosophiques, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1988, Addition au §379, p.382.

39. Ibid. (nous soulignons). On voit ici que pensée formelle et science empirique sont en vérité les deux faces d'une même conception (fausse) de la pensée. La logique moderne est fondamentalement un empirisme abstrait.

40.SLE, op.cit., §81 p.344.

41. SLE, op.cit., p.173. Sur les définitions du spéculatif (ou « positivement rationnel »), du dialectique (ou « négativement rationnel ») et de l'entendement, voir §§80, 81 et 82, pp.343-344.

42. Id., p.180. Cf. également les premières pages de la Présentation de B. Bourgeois.

43. Cf. E.Nagel et J.R.Newman, op.cit., pp.36-37.

44. Cf. Hegel, SLE, op.cit., Additions aux §§ 125, 126 et 128, pp.561-563 ; §182, pp.422-423 (à propos du syllogisme) ; et passim. - Si l'on osait, on le dirait ainsi : il y a bien ici un lien entre l'être et l'absence de lien entre l'être et ses liens.

45. Ainsi la rose, prise par Wittgenstein comme exemple de support de la couleur, est-elle traitée comme une chose : on peut la remplacer par un caillou sans que le raisonnement en soit affecté. (op.cit., 6.111).

46. Il ne faut donc pas prendre le terme « être » en un sens univoque, comme s'il avait le même sens à propos d'une chose, d'un vivant ou d'une personne par exemple. C'est pourquoi dans sa terminologie technique Hegel utilise le terme « être » pour désigner l'une des formes de celui-ci – celle dont l'immédiateté correspond le plus à celle du mot lui-même – et emploiera d'autres termes (existence, effectivité) pour désigner des modes de rapport avec soi-même (et avec le reste) qui ne se résument précisément pas au simple fait d'être.

47. P.ex. id., Add. au §160, pp.590-591 ; Add. au §163, p.592.

48. Ou que d'évoquer la manière extrinsèque et subjective dont la chose nous apparaît (Kant).

49. Id., §51, pp.314-315.

50. Id., §119, Remarque, pp.378-379. Il n'est pas peu révélateur que, chez les logiciens modernes, l'insignifiante couleur est presque systématiquement proposée comme exemple de « concept ».

51. Voir derechef SLE, op.cit., Additions aux §§ 125, 126 et 128, pp.561-563. - Il y a tout ce qu'il faut dans la logique hégélienne pour (re)constituer la logique moderne dans ses fondements : il suffit d'en ôter tout ce qui est spéculatif, c'est-à-dire le cœur même de la logicité ; la réciproque étant évidemment fausse. Cf. SLE, §82 p.345 ; Présentation de B.Bourgeois, pp.84-85.

52. Différence qui vaut non seulement au niveau des disciplines prises dans leur globalité, mais aussi et surtout au niveau des éléments constitutifs : la question « qu'est-ce que le temps ? » n'est pas physique mais philosophique ; la question « qu'est-ce que la nécessité ? » est philosophique.

53. Voir sur ce point E.Nagel et J.R.Newman, op.cit., pp.37sq. Cette notion empruntée à Hilbert vaut ici comme cas particulier de ce que serait, plus généralement, le "métalogique".

54. Ce qui ne signifie pourtant pas que le discours « métamathématique » est de nature philosophique. Seul est philosophique le discours prenant pour objet la métamathématique elle-même, pour la définir, la comparer à son objet et statuer sur le genre de rapport qu'elle entretient avec lui, comme on s'essaie à le faire ici : ce dont elle est elle-même incapable.

55. Tractatus logico-philosophicus, 2.172.

56. Le Tractatus ne soulève pas la question de savoir par quel mode du penser la distinction entre « dire » et « montrer » est effectuée. Mutisme plus profond, plus problématique et plus révélateur à la fois, que celui dont lui-même parle (7.).

57. L'étude du concept hégélien de nécessité, proposée plus haut, a tenté d'en offrir illustration et confirmation sur un point particulièrement décisif.

58. Cf. SLE, op.cit., Add. au §83, pp.518-19.

 

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