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Remarque sur le négationnisme
et sur ce que doit être sa critique

    Les négationnistes nient que les nazis aient commis un génocide systématique envers les Juifs. En cela, ils prennent position sur un plan qui est celui de la facticité historique ; leur position constitue une réponse à la question : tel fait a-t-il effectivement eu lieu, ou non ? Mais conjointement cette position est présentée par eux comme les exemptant de prendre position sur le plan du jugement moral, où la question est, cette fois : tel acte est-il moralement condamnable ou non ? Ils considèrent donc, ou ils affectent de considérer, que cette dernière question est rendue caduque par le fait que l'acte dont il s'agit (le génocide des Juifs) n'a pas eu lieu historiquement. Et il y a toute apparence que la thèse historique ne soit par eux soutenue qu'afin, précisément, de n'avoir à en soutenir aucune du point de vue moral : " Que l'on ne nous reproche pas, disent-ils, notre approbation ou notre complaisance à l'égard du génocide des Juifs : cela n'a pas de sens, puisque ce génocide n'a pas eu lieu ".
    Or en vérité, il n'est nul besoin, pour juger moralement d'un acte, que celui-ci ait effectivement eu lieu. Ainsi par exemple, personne à ce jour n'a pratiqué l'extermination systématique des Allemands (ou des Belges, ou des Français, etc.), et peut-être même personne ne le fera-t-il jamais : mais je puis néanmoins juger qu'un tel acte serait moralement inadmissible, s'il avait lieu, sans devoir attendre pour émettre ce jugement que l'extermination ait été réalisée effectivement. Car le jugement, en matière de morale, vise essentiellement la signification des actes, et celle-ci est pleinement compréhensible et appréciable par l'esprit dès lors que l'on se fait une idée claire de l'acte dont il s'agit : l'extermination systématique des Allemands ou des Belges dût-elle rester pour toujours à l'état de simple projet, ou même d'hypothèse absolument invraisemblable, il reste qu'en l'idée même de cet acte est incluse une négation de la dignité de l'être humain, et qu'elle peut faire à ce titre l'objet d'une condamnation morale expresse et catégorique.
    Si donc l'on veut échapper à la confusion dont les négationnistes entourent volontairement le débat concernant le nazisme, voici comment il ne faut pas craindre de leur parler : " Nous ne vous demandons pas si vous pensez que le génocide des Juifs a bien eu lieu, à telle époque et du fait de telles ou telles personnes ; à vrai dire nous sommes même prêts, pour les besoins de la discussion, à vous accorder la thèse que vous avancez sur ce point, et à admettre que les nazis, lors de la dernière guerre mondiale, n'ont peut-être pas commis un tel acte. Ce que nous vous demandons, c'est ce que vous pensez d'un tel acte, considéré en lui-même, dans sa signification morale, et sans entrer dans la question de savoir s'il a déjà eu lieu dans le passé : car c'est là une autre question, qui n'a aucune incidence sur celle que nous vous posons maintenant ".
    En leur parlant ainsi, et seulement dans ce cas, on leur ôtera tout moyen de ne pas répondre à la question morale, qui est la seule vraiment importante et d'ailleurs la seule qu'ils redoutent. Alors seulement, ils ne pourront faire autrement que de dire si, oui ou non, le meurtre de tout un peuple est à leurs yeux quelque chose de monstrueux. Que si, au contraire, l'on persiste à leur adresser des griefs en lesquels sont confondues des considérations touchant à ce qui est historiquement vrai et d'autres touchant à ce qui est moralement juste, comme s'il ne s'agissait pas là de deux ordres de jugements différents par nature, alors on ne fera jamais qu'entretenir une ambiguïté qui est à leur entier avantage : on leur laisse en effet tout loisir de glisser d'un registre à l'autre au gré de leurs intérêts, et de ne déplaire ainsi ni à ceux qui condamnent le génocide (car en disant qu'il n'a pas eu lieu, on n'en fait pas l'apologie, on peut même donner à croire que cette négation historique vaut un refus moral), ni à ceux qui l'approuvent plus ou moins complètement (car en disant qu'il n'a pas eu lieu, on n'en prononce pas la condamnation de droit, mais seulement l'inexistence de fait, et l'on peut, avec le renfort de quelques clins d'oeil, laisser à penser que cette négation historique n'est justement pas l'équivalent d'un refus moral, au contraire).
    Les questions historiques ont leur importance, mais une importance relative : elles touchent à des faits, c'est-à-dire à ce qui a été ; mais les questions morales touchent à ce qui doit être, c'est-à-dire au sens même de l'existence : aussi ont-elles une importance absolue. Elles seules, de surcroît, engagent l'avenir ; à propos des négationnistes, ce qui nous intéresse est moins de savoir ce qui, selon eux, a eu lieu dans le passé du fait des nazis, que de savoir ce qui, selon eux, devra être accompli dans le futur par eux-mêmes. Or cela dépend entièrement des idées qu'ils ont touchant à ce qui est bien ou mal, juste ou injuste. C'est là-dessus qu'il est grand temps de les amener à se découvrir : pour ce faire, il faut distinguer clairement les domaines (faits historiques, idées morales), les hiérarchiser, et, si les circonstances l'exigent, laisser de côté le premier pour rendre impossible toute ambiguïté dans le second.
 

Gildas Richard
(écrire à cet auteur)
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