Que la notion de travail soit liée à celle de
courage ne fait aucun doute. Pour travailler, il faut être courageux, la
contrainte qu'il faut subir n'a d'égal que le mérite qu'on acquiert à relever le
défi.
Or, à y regarder de plus près, n'est-il pas plus difficile de ne
rien faire alors que tout s'agite, de supporter l'inaction dans un monde voué à
la mouvance et à la précarité des fonctions ?
La peur de perdre sa place, sa fonction dans la société n'a-t-elle
pas pour ombre la honte de n'en avoir pas ? Peut-on toujours définir l'homme
comme un animal laborans alors que les structures socio-économiques qui
ont vu naître cette "nouvelle espèce" tendent à disparaître ?
"L'oisiveté est la mère de tous les vices", dit la bonne
conscience, mais le temps accordé à la réflexion n'est-il pas propice à la
naissance de la "pensée discriminatoire" ? Et ne pas sombrer dans le désespoir
ou l'abandon de la dignité suppose de la force, de l'endurance, de la
créativité, en un mot du "courage". Ainsi apparaît une contradiction!
Le lien économique ne suffit pas à la cohésion d'une société, et le
travail n'est pas la seule manière de se réaliser : les activités culturelles le
permettent plus amplement et, tout en mettant plus nettement le monde en valeur,
créent des liens sociaux plus durables.
Dégagé de la sphère économique, la nécessité du travail s'impose
dans des domaines auxquels il paraît étranger : un dur travail fournit les
éléments nécessaires à l'éclosion de la joie, car se réjouir des épreuves de la
vie est le critère d'une sagesse authentique, d'une liberté sans limite. Dit
autrement et dans un domaine différent, un "labeur patient" donne forme dans
l'oeuvre à "l'impatiente liberté".
Le travail libère donc, mais seulement s'il est compris comme une
règle que chacun s'impose à lui-même pour dépasser ses limites et non comme une
contrainte décidée par d'autres. Le travail comme discipline semble être le
creuset où se forge la difficile participation au "monde commun".