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La solidarité

   La solidarité fait partie de ces termes qui apparaissent immédiatement comme des valeurs, et ne semblent pouvoir engendrer que l’approbation : rares sont ceux qui oseraient sans provocation déclarer être contre la solidarité. Sommes-nous toutefois certains que nous mettons tous sous ce mot les mêmes idées ?

   L’étymologie du terme est ici éclairante. La solidarité a la même origine que la solidité : ce qui fait la solidité d’un bloc de béton, c’est que tous ses éléments sont “solidaires”, autrement dit interdépendants ; ce qui affecte l’un affecte plus ou moins directement tous les autres. Juridiquement, on parle par exemple de solidarité entre les époux : ainsi, si l’un contracte une dette, l’autre en est, qu’il le veuille ou non, solidaire.

   Au sens moderne, la solidarité, qui est parfois confondue avec la générosité ou la charité, peut justement s’en distinguer grâce à ces deux premières significations : la solidarité suppose un lien initial qui n’existe pas dans la générosité. Plus précisément, on est solidaire envers ceux dont on partage au départ les intérêts (ou comme on le verra plus loin, les droits) : ainsi en est-il de la « solidarité professionnelle » (à travers les syndicats par exemple) ou de la « solidarité nationale » (à travers les retraites par répartition ou la sécurité sociale). Défendre les droits d’un camarade de travail dans un cadre syndical, c’est aussi nécessairement défendre ses propres droits, puisque ce sont les mêmes. Cotiser à la sécurité sociale pour les malades lorsqu’on est bien portant, c’est “s’assurer” qu’on bénéficiera des mêmes cotisations lorsqu’on sera malade. La générosité ou la charité s’exercent au contraire à l’égard de ceux avec lesquels on n’a pas de lien particulier : on est généreux ou charitable envers ceux dont on ne partage ni les droits ni les intérêts. Cette différence explique qu’on n’a en théorie nul intérêt à être généreux ou charitable, tandis qu’il peut être dans notre intérêt d’être solidaire. Cette distinction semble placer la solidarité en dessous de la générosité ou de la charité sur le plan moral, ces dernières étant désintéressées. On pourrait pourtant, comme l’ont fait certains philosophes soupçonneux, voir dans cet apparent désintéressement une hypocrisie plus ou moins consciente : n’est-ce pas pour se donner bonne conscience, ou pour pouvoir espérer le paradis, que certains font preuve de charité ou de générosité ? Sont-ils alors si désintéressés que cela ? Celui qui fait preuve de solidarité, au contraire, en “assumant” clairement l’intérêt qu’il y trouve, serait tout aussi “utile” que le généreux, et moins hypocrite. Il est un autre avantage de la solidarité, bien plus grand sans doute. Reposant sur une communauté d’intérêts, elle possède une certaine solidité, on l’a dit, et donc une fiabilité que sont loin d’avoir la générosité et la charité, qui sont imprévisibles et fluctuantes. Or la vie en société ne peut pas reposer sur des bases aussi fragiles que le sont celles de la générosité et de la charité. En faisant appel, dans une certaine mesure, à l’intérêt collectif, la solidarité assure sa constance et sa pérennité.

   Mais il existe aujourd’hui des formes nouvelles de solidarité fondées non plus sur des intérêts communs, mais sur des droits considérés comme communs, bien que ces droits ne soient pas reconnus par la loi ; et c’est précisément pour cette raison que cette solidarité peut constituer un délit, comme la solidarité à l’égard des étrangers en situation irrégulière. Ce qu’on appelle les « délits de solidarité » consistent ainsi à aider des personnes dépourvues de droits que l’on possède soi-même. Il n’est donc plus question ici de défendre un intérêt collectif déjà existant, mais bien d’essayer d’en créer un qui n’existe pas encore. Pourquoi alors s’agit-il bien de solidarité et non de charité ou de générosité ? Parce que ce n’est pas au nom de « l’amour du prochain » qu’on agit dans ce cas, mais au nom de liens eux-mêmes fondés sur une certaine idée de la justice. Tel est en effet le fondement de la solidarité.

M.A.

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