Si le rire est censé être le
propre de l'homme, il n'en est pas pour autant toujours signe d'intelligence.
Qui n'a jamais eu honte d'avoir ri à une blague idiote, voire méchante? Pourquoi
le rire sert-il si souvent de prétexte au déchaînement de la bêtise et de la
méchanceté? Si le rire est recherché pour l'ivresse qu'il procure (et
inversement l'ivresse pour le rire) n'est-il pas aussi possible de rire
lucidement face à la vérité?
Il y a plusieurs façons de rire, ce qui fait que ce qui est comique
pour les uns ne l'est pas pour les autres et que le comique réside moins dans
l'objet (situation, blague...) que dans le point de vue, dans l'interprétation
qu'on en fera.
Si on aime rire c'est que le rire semble associé à la joie ; or
force est de constater que tout rire n'est pas joyeux : il y a des rires
haineux, des rires moqueurs qui expriment autant de passions tristes. L'ironie
consiste à faire du rire une arme, elle rit contre, toujours aux dépens des
autres, elle est toujours extérieure (même quand elle porte sur soi). Cette
forme de rire nous libère-t-elle du sérieux qu'elle se plaît si souvent à
tourner en dérision? On peut en douter ; la frivolité qui consiste à ne rien
prendre au sérieux a t-elle conscience de sa propre dérision? Elle serait alors
sagesse.
Faudrait-il alors « ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas détester
mais comprendre » comme nous le conseille Spinoza? Mais alors, philosopher, ce
serait forcément être pris au jeu de l'esprit de sérieux ? Cela voudrait dire
qu'il n'y aurait au fond de rire que bête et qu'on rirait d'autant plus qu'on ne
cherche pas à comprendre, ce qui fort heureusement est faux. Ce qu'il manque à
l'esprit de sérieux, c'est de ne pas se comprendre soi-même comme esprit de
lourdeur. Est-il possible de rire lucidement et de rire se soi ? Cela s'appelle
l'humour qui consiste en une forme de recul joyeux face à soi et au monde (ce
qui en un sens pourrait servir à définir la philosophie!).
Se pose alors une question: peut-on rire de tout? Qu'on le puisse,
cela ne fait pas de doute. En un sens la question ne se pose pas, car on ne
choisit pas sur l'instant de rire ou pas, ni ce à quoi on rit. Est-ce pour
autant que le rire n'est qu'une réaction mécanique ? La vraie question semble
plutôt être : peut-on rire n'importe comment ? Ironie méprisante ou bien humour
profond, il y a un rire bête et un rire "spirituel", comme on le dit si bien au
sujet des gens qui ont de l'humour. Et l'esprit, cela se cultive...