Au premier abord, le philosophe, celui qui recherche la
sagesse, et le psychologue, celui qui étudie lâme (psukhê), semblent tous deux
répondre à la fameuse injonction de loracle: connais-toi, toi-même.
Mais il sagit pourtant là de deux domaines et de deux disciplines différentes,
quest-ce qui les différencie?
Remarquons dabord quil y a plusieurs sens du mot
psychologie:
- Au sens courant est psychologique ce qui est subjectif, ce qui relève
dune connaissance immédiate (non réfléchie) de soi.
- Dautre part, on a tendance à assimiler sous le terme de psy, la
psychologie scientifique ayant pour but la connaissance objective des processus mentaux et
les diverses formes de psychothérapie ayant des visées thérapeutiques.
En ce qui concerne la psychologie comme science, cette discipline est
dune très grande diversité (tout comme la philosophie elle-même ), mais on
peut retenir que tous les courants ont en commun le projet dexpliquer
scientifiquement, cest à dire de manière causale, selon des lois que lon
pourrait dire naturelles, les processus mentaux. Il faut remarquer que, pour
se constituer comme savoir objectif, la psychologie a du mettre entre parenthèse
laspect subjectif (donc psychologique au premier sens du terme!) des
phénomènes mentaux, pour ne retenir que leur aspect observable et mesurable. Ce qui
implique que le psychologue ne peut, ni ne doit même, chercher à se connaître
lui-même, puisque la connaissance immédiate, introspective, quil peut avoir de
lui-même ne saurait être scientifique.
Par ailleurs, il y a, une telle diversité des approches philosophiques que
lon doit être très prudent quand on parle de la philosophie, mais on
peut au moins se baser sur ce quil y a de commun à toute démarche philosophique,
sur ce qui la caractérise comme telle, pour essayer de voir où se situent certains des
problèmes.
Quel rapport celui qui se met en situation de philosopher va t-il entretenir
avec ce qui est psychologique (au premier sens)? Lexigence face à laquelle se
trouve toute personne qui veut philosopher, est dabord celle dessayer de ne
rien présupposer, de mettre entre parenthèses ses opinions, de mettre en question ce qui
lui paraissait jusque là évident, y compris la connaissance quelle a
delle-même. Autrement dit, philosopher demande une certaine ascèse. On peut alors
poser la question de savoir sil est possible de dépasser sa subjectivité. Mais
comment répondre sérieusement à cette question autrement quen philosophant?
Comment penser le rapport entre philosophie et psychothérapie? On peut
envisager la question sous langle de celle des fins de lune et de
lautre: quel rapport y a-t-il entre la sagesse que vise le philosophe et la santé
mentale que vise le psychothérapeute? Remarquons seulement que si la santé mentale
nest conçue que comme une conformité à certaines exigences sociales, et la
pratique thérapeutique comme une entreprise de normalisation de
lindividu, alors philosophie et psychothérapie nont rien en commun. Par
contre si le but dune psychothérapie est de rendre le sujet à lui-même, de lui
permettre daccéder au je authentique, alors elle peut avoir quelque
chose de commun avec une démarche philosophique.
Quel rapport y a-t-il enfin entre philosophie et psychologie scientifique? Le
psychologue cherche à expliquer les phénomènes mentaux (percevoir, juger ou comprendre
par exemple) de lextérieur en cherchant à les expliquer par des causes (physiques,
biologiques, sociales etc). Ce qui implique que, tôt ou tard, sa science devrait lui
permettre de naturaliser lesprit; cest à dire, par exemple,
dexpliquer les opérations intellectuelles du philosophe lui-même (ses
raisonnements, ses jugements) par des causes qui lui échappent, rendant, par là même,
la philosophie inutile. Ceci nous ramène à la question de la liberté, et on comprend
pourquoi certains ont vu le psychologue -parce quil soumet la pensée et le
comportement humains à des normes naturelles bien plus contraignantes que les normes
sociales- comme étant susceptible de devenir un auxiliaire de la police. Le philosophe
lui, fait avant tout un travail conceptuel, il va chercher non pas des causes, mais des
raisons. Or, si les raisons que donne le philosophe peuvent à leur tour être expliquées
par des causes physiques ou autres, les concepts quutilise le psychologue pour
interpréter ses observations sont toujours susceptibles dune analyse et dune
critique philosophique