Si l'on se demande ce qu'est être libre, l'on
répond immédiatement en disant que c'est faire ce que l'on veut. Pour illustrer
une telle conception, il suffit de prendre un exemple manifestant clairement le
contraire de celle-ci : le travail, tout simplement.
Le travail fait de peine et de fatigue, d'embarras et d'ennui rend
évident le lien qui nous unit à la nécessité. Comme l'animal, l'homme doit se
tourner vers la nature pour y trouver sa nourriture ; être de besoins, l'homme
doit passer une grande partie de son temps à pourvoir à ces derniers ; comme on
dit : "Nous travaillons pour vivre".
Pourtant, si le travail consistait uniquement à satisfaire nos
besoins, nous pourrions rapidement cesser de travailler pour, enfin, ne rien
faire! Mais qu'entend-on par là ? Que voulons-nous dire quand nous disons que ce
que nous souhaitons, c'est ne rien faire ?
Ne rien faire, c'est tout d'abord réduire la tension nécessaire à
l'action de travailler ; c'est la première image du repos. En d'autres termes,
ne rien faire, c'est cesser de travailler : mais est-ce pour autant cesser
d'être actif ?
Doit-on nécessairement associer le fait de ne rien faire avec la
chaise longue ? Non, puisque ne rien faire, c'est pouvoir s'adonner à des
activités "gratuites". Ces activités gratuites peuvent être de deux formes : ou
bien elle n'a pas d'autre but que de nous détendre, et nous la nommerons, de
manière large, "jeu" ; ou bien cette activité n'aura pas d'autre fin que la
personne elle-même, c'est-à-dire sa propre transformation, et nous la nommerons
"loisir". Exemple : la musique, les mathématiques, la philosophie.
Travail, jeu, loisir : trois termes qui, si nous avions à les
regrouper, se répartiraient à première vue de la manière suivante : d'un côté le
travail, de l'autre le jeu et le loisir. Pourtant, si le jeu vise à reposer du
travail comme labeur, peut-on dire que le loisir, comme il a été défini
précédemment, puisse s'accomplir sans travail ? Puisqu'il s'agit de se
transformer, de devenir autre, tout cela ne peut s'accomplir sans difficultés,
sans efforts.
Ainsi, nous devons reprendre notre classement ; peut-être
vaudrait-il mieux dire : travail et loisir d'un côté, jeu de l'autre. mais là
aussi, nous pourrions objecter que l'effort propre au travail n'est pas le même
que celui demandé par le loisir.
En effet, accompli pour une tâche dont le but a sa raison d'être
hors d'elle-même, le travail ne peut être que pénible. Par contre, le loisir
visant à transformer l'homme lui-même demande un réel effort qui, une fois
accompli, s'accompagne de joie : ce n'est plus le métier qui prime, mais le
devenir-philosophe.
Le travail peut sembler être l'envers de la liberté, ce n'est
pourtant que dans le travail que nous pouvons réaliser notre liberté.
En résumé, s'il faut travailler pour vivre, il faut vivre pour le
loisir.