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L’humilité

   Il semble au premier abord que l’humilité soit au nombre de ces “vertus” d’origine religieuse dont on ne saurait faire que l’apologie, comme on peut le faire pour la tempérance,l’espérance, etc. La réflexion philosophique n’aurait alors qu’à confirmer rationnellement sa valeur morale, qu’à laïciser en quelque sorte son éloge judéo-chrétien. L’humilité est en effet originellement la vertu de celui qui a conscience de sa basse origine : la terre, humus (ou même la poussière) dont Dieu aurait fait l’homme (Genèse, II, 7). Le péché originel accroît encore cette nécessité pour l’homme de reconnaître sa petitesse, voire son “néant”, et par conséquent de s’abaisser devant son créateur, dans un mélange (paradoxal pour certains) d’amour et de crainte. Suivant cette logique, la version “laïque” de cette humilité consiste à prendre conscience de sa propre faiblesse, de ses limites en général, et surtout à se comporter en fonction de cette prise de conscience en s’abaissant, non pas en se sous-estimant, mais en manifestant une réelle infériorité face à ceux qui sont supérieurs. C’est en quoi l’humilité se distingue de la modestie, qui consiste plutôt à ne pas mettre en avant ses qualités ou sa supériorité réelles. C’est la raison pour laquelle  cette humilité s’accompagne souvent de tristesse (voire est une forme de tristesse pour certains penseurs), puisqu’elle naît du constat de notre  petitesse, tandis que la modestie n’empêche pas la joie, ou même la rehausse, puisque elle suppose que nous avons conscience de notre réussite, que nous cherchons précisément à dissimuler ou à relativiser face aux autres.
 L’histoire des idées donne des illustrations fort intéressantes de l’humilité. La position philosophique qui est probablement la plus humble n’a rien de religieux : il s’agit du scepticisme qui, dans sa forme la plus extrême, soutient que la faiblesse de l’esprit de l’homme est telle qu’il ne peut parvenir à aucune certitude. Il s’agit là non seulement d’humilité individuelle (celle du sceptique), mais surtout d’un appel à l’humilité universelle, puisque cette faiblesse vaut pour tout homme. On a souvent montré l’incohérence de cette pensée en soulignant que pour les sceptiques, la faiblesse de l’esprit humain est précisément une certitude. Leur humilité réelle ou supposée se trouve ici sous le feu de leur propre critique. Le “moment” sceptique de l’histoire des idées a néanmoins eu comme mérite d’inciter les philosophes à réfléchir aux limites de la raison, c’est-à-dire de leur principal instrument, qui se trouve ici également être leur objet d’étude : l’humilité consiste peut-être alors à remarquer qu’il est difficile (impossible pour certains) pour la raison d’évaluer ses propres limites. Le sceptique “modéré” peut alors se contenter de déclarer la raison humaine incapable de répondre à certaines questions. Un exemple de ce scepticisme appliqué à une question précise est l’agnosticisme (étymologiquement l’ignorance, l’absence de connaissance) qui est, dans son usage le plus fréquent, la position de celui qui ignore si Dieu existe. Mais l’humilité peut dans ce cas être seulement individuelle (si l’agnosique ne se prononce que sur sa propre ignorance, en admettant que d’autres puissent avoir une réponse fondée) ou universelle en  droit (si l’agnostique estime que nul être humain n’est réellement en mesure de se prononcer sur la question de l’existence de Dieu ; l’agnostique appelle alors tout homme à l’être).
   Nous devons être, selon les cas, modestes (pour ne pas mettre trop en avant nos qualités et paraître ainsi vaniteux) ou humbles (pour “assumer” nos faiblesses et nos défauts et ne pas nous surestimer) ; la question reste toutefois posée de savoir si nous devons, par humilité, nous abaisser, et si oui, devant qui et pourquoi…

M.A.

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