Pour que les plantent poussent, il
suffit qu'elles soient enracinées dans la terre, d'un peu de ciel et d'eau : si
ces éléments sont abondants, elles peuvent s'épanouir. Ce sort est-il uniquement
réservé aux plantes ? La métaphore est-elle pertinente pour l'espèce humaine ?
Quel rapport entre agriculture et culture ?
Partons du constat que les "êtres épanouis", c'est à dire
"les gens heureux", sont rares. Le bonheur se voudrait-il un but de la vie
humaine, son accès reste une des choses les plus difficiles à obtenir. Jusqu'aux
"imbéciles heureux" qui se font rares... On dénombre de plus en plus de
malheureux... Si malgré tout on soutient que le bonheur est le but de
l'existence, de quel bonheur s'agit-il ? Et comment y parvenir ?Y aurait-il des
gens prédestinés et d'autres condamnés à souffrir et à supporter le bonheur de
quelques élus ? Ceci est irrecevable dans le principe -- mais alors le bonheur
s'apprend-il ? S'enseigne-t-il ? Y a-t-il des écoles pour cela ? Ou l'école en
serait-elle le lieu privilégié ?
La première école de la vie est la Famille, la seconde semble être
la République. Ces deux creusets travaillent ensemble à l'épanouissement de
leurs membres : éduquer consisterait à faire passer de la contrainte extérieure
à l'obligation interne, de la persuasion basée sur la séduction et l'intérêt à
la conviction centrée sur l'éthique.
Rendre l'individu autonome pouvait être un but pour l'éducation.
Premier pas auquel il est nécessaire d'ajouter "le souci pour l'autre" ou la
sollicitude ; ce deuxième pas permet un saut qualitatif qui prendrait la forme
du respect des différences. L'éducation s'attacherait ainsi à faire de chacun le
porteur du projet de l'humaine condition, c'est à dire : sa réalisation, son
humanisation.
Un "homme réalisé", en d'autres termes un sage, un être éduqué ou
civilisé, est celui qui loin de penser que sa réalisation dépend soit de sa
naissance, soit de ses dons, s'en remet à un travail quotidien, un exercice
renouvelé d'ouverture du coeur, de l'esprit, ou de la conscience comme on voudra
bien les nommer. Cette discipline est l'espoir d'une utopie qui consisterait à
mener le plus grand nombre sinon tout un chacun à profiter des progrès des
civilisations, car peut-on être libre et heureux seul ou en nombre restreint ?
Cette discipline est la seule violence nécessaire, celle qui se
dirige vers l'intérieur de soi-même ; se faire violence, c'est à dire s'obliger
à grandir au milieu des autres.