Retour à l'accueil  -  Textes et articles  -  Le don  -  Sentences, aphorismes et brèves remarques -  Lectures  -  Visages de la pensée  -  Liens et contacts

Retour à la liste des textes
 

L'indifférence

 

   Au premier abord l'indifférence semble indiquer seulement un manque : c'est l'état de celui qui n'éprouve ni douleur, ni plaisir, ni désir, ni crainte. L'indifférence ne serait qu'insensibilité, incapacité à aimer qui confinerait à l'anorexie (littéralement : absence de désir) et à l'apathie (absence de passion). On pourrait entendre dans la notion d'indifférence (et dans l'attitude de l'indifférent) le signe d'un rapport difficile avec la différence : une incapacité à changer, à se laisser changer par l'émotion (ce qui nous met en mouvement), mais aussi la négation de la différence, l'enfermement sur soi. Indifférence et égocentrisme seraient donc liés.
   Un problème se pose ici : l'indifférence porte-t-elle toujours sur ce qui est différent de moi ? Peut-on être indifférent à soi ? On sait que le sujet anorexique peut se laisser mourir, mais s'il est indifférent à l'état de son corps, il ne l'est pas à l'image idéale qu'il a de lui-même...
   De plus, on peut se demander s'il n'est pas nécessaire d'être indifférent au malheur des autres pour être heureux ? Que l'on ne se raconte pas d'histoires : le spectacle de la famine au journal télévisé n'empêche pas grand monde de continuer son repas ; la vraie question est l'inverse : peut-on être vraiment heureux en étant indifférent au malheur des autres ?
   Cependant la définition de l'indifférence comme état de celui qui n'éprouve ni douleur, ni plaisir, ni désir, ni crainte, peut être entendue tout à fait différemment. Ces termes ont été utilisés par bien des traditions philosophiques pour indiquer l'état parfaitement équilibré du sage. Si cette définition est négative, c'est qu'elle désigne une positivité extrême qui dépasse de loin ce qui fait le quotidien de nos existences. L'indifférence ici ne serait pas manque de sensibilité à l'égard des souffrances des autres, et manque d'appétit de vivre, mais au contraire amour inconditionnel de la vie et compassion envers tous. Le sage épicurien ne cherche pas tous les plaisirs, contrairement à l'image commune, il est dans le plaisir d'exister, plaisir en repos qui est absence de douleur. Son amour de la vie ne s'enracine pas dans la peur de mourir, il n'est pas inquiet de la mort toujours possible parce qu'il ne désire pas vivre éternellement : le présent lui suffit. Et si le sage stoïcien ne connaît ni la crainte ni l'espoir, c'est qu'il sait qu'il n'y a que le présent qui existe (or crainte et espoir portent sur l'avenir). Il a appris à discerner ce qui dépend de lui, le reste est indifférent. Le sage est plus occupé à agir sur ce qui dépend de lui, qu'à espérer et à craindre ce qui lui est étranger. Ce n'est pas qu'il soit indifférent aux autres ; si le sage est apathique (sans passion), il n'en ressent pas moins la sympathie universelle qui l'unit à tout. Il est "citoyen du monde" parce qu'il reconnaît et accepte la différence et le changement partout.
   Alors l'indifférence : qualité ou défaut ? Il y a plusieurs façons d'être indifférent.

J.S.

Retour à la liste des textes
 

Retour à l'accueil  -  Textes et articles  -  Le don  -  Sentences, aphorismes et brèves remarques -  Lectures  -  Visages de la pensée  -  Liens et contacts