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La dépendance

   La notion de dépendance désigne un rapport dans lequel une des parties au moins ne peut exister ou se réaliser sans l'autre ou les autres. Appliqué à l'homme on a tendance à immédiatement opposer dépendance et liberté, mais, si l'on ne veut pas admettre une idée préconçue et infondée de la liberté, il faut se demander si toute forme de dépendance enlève la liberté.
   La dépendance renvoie d'abord au besoin naturel (c'est-à-dire qui n'est pas construit, ne relève pas d'un code social, et est de ce fait universel). Tous les êtres vivants sont dans le besoin parce que tout organisme ne vit que par et dans ses échanges avec son milieu (surtout à travers la nutrition). En tant qu'êtres vivants nous avons besoin de l'écosystème dans lequel nous vivons. Cela nous empêche t-il d'être libre? Celui qui répondra « oui » suppose une certaine conception, toute absolue de la liberté. Celle-ci ne serait alors conçue que comme la capacité d'un sujet à exister et à agir indépendamment de toute circonstance extérieure, c'est le libre arbitre conçu sur le modèle divin (Dieu existant et ayant la capacité de créer à partir de rien). Mais le fait d'avoir besoin, par exemple, de l'atmosphère terrestre pour respirer nous enlève t-il vraiment notre liberté? Un être qui a des besoins c'est un être qui n'est pas autosuffisant, qui n'est ni séparé, ni absolu, qui n'existe et agit qu'en relation avec d'autres. Peut-on penser une liberté qui ne serait pas basée sur le strict choix individuel mais sur la reconnaissance de l'interdépendance?
 La notion de dépendance fait plus problème quand elle signifie assuétude ou addiction. Elle est alors un comportement compulsif, qui est pathologique dans la mesure où elle échappe à la volonté du sujet quand celui-ci veut s'en abstenir, causant ainsi division interne et souffrance.
   Les degrés d'addiction sont nombreux et vont de la simple habitude devenue automatisme, à la dépendance physique à un produit. La dépendance physique est liée aux mécanismes d’adaptation de l’organisme à une consommation prolongée et peut s’accompagner d’un accroissement progressif de la demande dû au phénomène de « tolérance ». La dépendance psychologique est, elle, bien plus liée aux caractéristiques des individus (habitudes, états affectifs, styles de vie) qu'au produit lui-même. Si certaines formes de dépendance sont déssocialisantes (comme, par exemple, l'addiction aux jeux vidéos), certaines ne le sont pas et collent tout à fait aux valeurs de notre société: addiction au travail (« workalcoholism »), à la télévision, à la nourriture, au sexe ou au « shopping ». De fait, ces deux catégories de dépendance ne sont d'ailleurs pas vraiment dissociables: certaines formes de dépendance « psychologique » se traduisent par des états de manque douloureux alors qu'il n'y a aucune cause physiologique.
   Ces formes de dépendance pathologique sont, elles, bien contraires à la liberté. S'agit-il là d'une « perte » de liberté? Pour perdre quelque chose il faut d'abord l'avoir possédé... Or il n'est pas dit que nous soyons d'emblée en totale possession de nous-même. N'y a-t-il pas à apprendre à être libre? Ne passons-nous pas une bonne partie de notre temps à dorer les chaînes qui nous tiennent prisonniers? Autrement dit, la dépendance n'est peut-être pas que le problème des junkies, mais un problème universel, interrogeant chacun sur la nature des liens qu'il tisse avec les autres et sur sa relation à ses désirs et habitudes.
  
Le désir nous pousse d'abord vers la nouveauté, le pas encore connu, en lui s'affirme un manque à être, à avoir, à connaître qui nous tient tous. Mais alors d'où vient cette tendance à rechercher une jouissance répétitive qui conduit à la dépendance? Et si la disposition à la dépendance venait d'une incapacité à supporter le manque? Par exemple, qu'est-ce qui prédispose plus à la dépendance affective que la peur de la solitude?
   Si la dépendance s'enracine dans l'incapacité à assumer le manque, la liberté aurait, elle, au contraire, pour condition de savoir l'assumer? Savoir habiter le vide: assumer que l'on est, en dernière analyse, toujours au delà de toute définition positive, de toute caractéristique enfermante; assumer que l'on n'est pas une chose, pas que le personnage auquel nous nous sommes identifiés...

                                                                                                J.S.

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