Etymologiquement, le
terme « démocratie » désigne un type de régime politique dans lequel c’est le
peuple (dèmos) qui détient le pouvoir (kratos). Or cette
étymologie correspond certes à la démocratie participative, fort rare et
toujours à une échelle réduite (la municipalité de Porto Alegre par exemple),
mais pas à ce qu’on entend habituellement par démocratie, la démocratie
représentative, c’est-à-dire un type de régime politique dans lequel c’est
le peuple qui désigne celui ou ceux qui détiennent le pouvoir.
Mais en se contentant de cette dernière définition “minimale”, on
peut arriver à de véritables aberrations, et notamment à appeler « démocraties »
des régimes qui n’en ont même pas l’apparence. Car une démocratie véritable,
même (ou surtout) représentative, requiert bien d’autres choses que le suffrage
universel. On peut notamment signaler : §Le pluralisme politique ou pluripartisme, qui évite que les électeurs
aient à choisir entre… un seul candidat, ainsi qu’une réelle possibilité pour
chacun, sans distinction, de se présenter aux élections.
§La
séparation des pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire –, qui évite
une concentration du pouvoir entre de trop peu nombreuses mains. On ne
saurait par exemple trop insister sur l’indépendance du pouvoir judiciaire par
rapport aux pouvoirs législatif et exécutif, pour le cas, certes improbable, où
les représentants de ces deux pouvoirs intéresseraient les juges pour des
raisons que la justice réprouve.
§Une
durée raisonnable des mandats, qui évite autant l’inaction dans les premières
années de pouvoir que la mise en place de systèmes permettant d’empêcher
l’alternance politique, que ces systèmes soient légaux – nominations de
personnes “de confiance” à des postes clés, clientélismes divers, … – ou non
– corruption généralisée par exemple.
§Des
contre-pouvoirs nombreux, divers et représentatifs – syndicats, associations
diverses, médias indépendants –, ayant le droit de s’exprimer librement,
dont l’action doit éviter aux gouvernants de céder à la dangereuse tentation de
résoudre les problèmes de la majorité en lésant une minorité, fût-ce avec
l’accord explicite de cette majorité, toute démocratique que puisse
paraître une telle politique. Ces contre-pouvoirs ne doivent toutefois pas être
des “lobbies”, c’est-à-dire des ennemis de l’intérêt général, qui n’est
pas toujours, tant s’en faut, l’intérêt de la majorité.
D’autres “garde-fous” sont bien sûr possibles et même souhaitables,
tant l’histoire, surtout récente, montre que même si toutes ces conditions se
trouvent à peu près réunies, un régime dit démocratique peut s’accompagner de
situations qui peuvent précisément sembler peu démocratiques, comme l’existence
de forts soupçons sur l’honnêteté de responsables politiques de premier plan,
soupçons impossibles à confirmer ou à infirmer du fait même de lois dites
démocratiques.
Il semble alors que le plus important de ces “garde-fous” réside,
en théorie au moins, dans ce qui fait la légitimité même de la démocratie :
l’idée que le peuple, ou plus précisément la majorité du peuple s’exprimant lors
des élections (ce qui, dans certains pays et dans certaines élections, peut
correspondre à une partie minime des citoyens) premièrement, sait toujours où
est son intérêt – en tant que peuple – et sait donc pour qui il doit voter
pour que cet intérêt soit pris en compte, et deuxièmement, vote toujours dans
le sens de son intérêt – toujours en tant que peuple. Or concernant le
premier point, nombreux sont les cas qui montrent que le peuple peut se tromper
sur ceux qui doivent prendre en charge son intérêt, comme le montrent toutes les
“déceptions” dont les électeurs se disent eux-mêmes les victimes (« Si j’avais
su… »). A propos du deuxième point, plus nombreux encore sont les cas où les
électeurs – on ne peut plus dire alors le peuple, qui n’a plus d’unité – ne
votent pas dans le sens de l’intérêt du peuple, mais dans le sens de leurs
intérêts personnels, ou ce qu’ils croient l’être. Les élections locales sont
notamment l’occasion d’en appeler à ces intérêts particuliers plus qu’à
l’intérêt général, au mépris de la démocratie.
On appelle « démagogie » l’ensemble des moyens par lesquels les
candidats à une élection peuvent ainsi détourner, des deux manières exposées
ci-dessus, le sens d’une élection démocratique, c’est-à-dire la détermination de
l’intérêt général et de ceux qui auront la charge de le satisfaire. Dans le
premier cas, la démagogie est subie par les électeurs (“promesses” non tenues).
Dans le deuxième cas, la démagogie est plus ou moins admise par ces électeurs,
par exemple lorsque les candidats “jouent” sur des peurs ou des fantasmes, quand
ils ne s’en prennent pas explicitement à une minorité (professionnelle,
ethnique, …).
Nous devons donc nous demander si cette idée qui est le fondement
de toute démocratie, l’idée que le peuple est suffisamment lucide et doté
de suffisamment de civisme pour ne pas pervertir, volontairement ou non, la
démocratie par ses propres votes, si cette idée, donc, est autre chose qu’une
illusion.