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Croire Celui qui croit est, dabord et avant tout, celui qui ne sait pas. Croire paraît bien, en effet, sopposer à savoir : lorsquon sait, on ne croit plus, on sait. Mais cette opposition prend bien souvent, dans lopinion courante, la forme plus précise dune hiérarchie : nest-il pas clair quil « vaut mieux » savoir que croire ? Le premier offre assurance et certitude, là où le second en reste à une simple possibilité ou à un espoir. En somme, le savoir représenterait laboutissement, la réussite de ce qui, dans le croire, resterait à létat débauche, de désir inassouvi. Croire serait un pis-aller, une sorte de sous-savoir : on ne croirait que « faute de mieux », lorsque le savoir est hors datteinte ; pire encore : le croire pourrait bien être une solution de facilité, permettant déviter langoisse de lignorance et les affres de la recherche : celui qui croit ne se donne-t-il pas à fort bon compte toutes les réponses ? Une telle
manière denvisager le croire nest pas sans pertinence : elle correspond à ce
que lon peut appeler la croyance. Croire à ceci ou cela signifie alors : adhérer
à une affirmation dune manière immédiate, sans pouvoir ni vouloir en rendre
compte, sans distance ni interrogation, selon une décision subjective et souveraine. On
comprend, du même coup, que lobjet de la croyance (ce à quoi lon croit)
puisse varier à linfini selon les différents individus : issue de la
subjectivité et nexprimant que celle-ci, la croyance de lun diffèrera de la
croyance de lautre, puisque tous deux nont pas la même subjectivité
cest-à-dire : les mêmes goûts, les mêmes intérêts, les mêmes habitudes ... On
comprend aussi que la croyance soit proche parente de la crédulité : puisquici la
subjectivité décide souverainement, il est logique quelle adhère à tout ce qui
comble ses désirs (conscients ou non), sans se préoccuper dexamen ou de
vérification. La croyance est indifférente à la vérité. En elle, le sujet ne cherche
pas à sélever lui-même jusquau vrai, il cherche au contraire à modeler le
vrai selon ses propres manières dêtre. Pour toutes ces raisons, la croyance
est bien un sous-savoir : comme le savoir, elle affecte la forme de la certitude (celui
qui croit sur le mode de la croyance est celui qui ne doute pas), mais contrairement au
savoir, elle nentend pas que la certitude soit le résultat de linterrogation,
de la recherche longue, laborieuse et disciplinée. Mais il en
va tout autrement lorsquil sagit de la foi. « Avoir la foi », ce
nest pas se donner à soi-même des réponses toutes faites, cest au contraire
se donner soi-même en réponse à une interrogation qui nous est adressée, et qui a la
forme dun appel. Ce nest pas sefforcer de faire correspondre la vérité
avec ses propres souhaits, mais cest sefforcer de correspondre soi-même à ce
que souhaite la vérité. On comprend alors que le croire, lorsquil sagit de
foi, na de sens que dans le cadre dun rapport de personne à personne,
quil sagisse du rapport de lhomme à lhomme ou de lhomme à
Dieu : on croit quelquun (ou en quelquun), on croit à la parole donnée par
quelquun ou à la promesse faite par quelquun. Un lien essentiel existe ainsi
entre la foi et cette autre notion qui lui est étymologiquement apparentée : la
confiance. Que signifie en effet « faire confiance » ? Faire confiance,
cest sen remettre (se fier ou se confier) à un être qui pourrait trahir ou
mentir, qui pourrait aussi se désintéresser de nous, mais qui librement se tourne vers
nous et sadresse à notre liberté, attendant de nous une réponse que nous sommes
libres de donner ou non. Dans ces conditions, le croire cesse dêtre un pis-aller,
et le savoir cesse dêtre un idéal qui remplacerait avantageusement le croire : on
ne fait pas confiance à quelquun « faute de mieux », mais parce que
cest la seule façon authentique dentrer en relation avec une liberté. Au
contraire, prétendre faire dune personne un objet de savoir serait le meilleur
moyen de lui retirer son essence dêtre libre. Il est
vrai que la foi est toujours sous la menace de lillusion et de la trahison. Mais
cest que, précisément, la foi, contrairement à la simple croyance, affronte le
risque et le doute : elle ne les dépasse quen acceptant dabord de passer par
eux. Gildas Richard |
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