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Le choix

     Avez-vous le choix de lire ce texte? On serait bien sûr tenté de répondre immédiatement oui. Mais le fait est que vous êtes en train de le lire. Pendant que vous êtes en train de lire ce texte, vous n'avez plus le choix de ne pas le lire! Vous aviez le choix avant, vous avez le choix d'arrêter de le lire dans une seconde, mais pas maintenant. Or quel est le temps réel? Le temps pendant lequel vous lisez, c'est maintenant. Or le présent c'est la nécessité: vous ne pouvez pas lire et ne pas lire ce texte en même temps. Le présent échappe donc au choix: ce qui est est. Le passé aussi bien sûr, car on ne choisi que ce qui est de l'ordre du possible (dans le sens de ce qui n'est pas encore réalisé), or le passé  n'existe que comme réalité passée sur la laquelle on ne peut plus rien. On ne peut pas agir sur le passé, on ne peut agir qu'au présent. Qu'en est-il de l'avenir? S'il dépend du présent et que nous ne pouvons pas choisir celui-ci, il semble alors lui aussi échapper à toute possibilité de choix.  
   Avoir le choix suppose qu'on puisse en même temps faire et ne pas faire une chose, c'est ce qu'on appelle le libre arbitre: capacité de choisir entre deux ou plusieurs possibilités sans être incliné a priori vers l'une ou l'autre. Pour choisir il faudrait que les deux possibilités (ici lire ou ne pas lire) vous soient indifférentes. Mais en l'occurrence, non seulement vous êtes entrain de lire, mais en plus si vous avez choisi de lire ce texte c'est que cela vous intéresse (pour une foule de gens la question ne se posera jamais: ils ne s'y intéressent pas, est-ce à dire que ça ne les concerne pas?...).
   Qu'est-ce qui fait qu'une chose nous intéresse, donc que nous y portons de l'attention? Nos goûts, nos préférences. Cependant avez-vous choisi vos préférences? Si nos choix sont déterminés par quelque chose que nous n'avons pas choisi (nos goûts, notre personnalité...) alors ils ne sont pas vraiment des choix mais des illusions de choix: nous ne faisons que suivre la pente de nos préférences. Nos choix émanent de notre personnalité toute entière. La possibilité du libre arbitre suppose donc la possibilité de se choisir soi-même. Et là encore il semblerait que les jeux soient faits: ne sommes-nous pas le produit de notre histoire personnelle (et, particulièrement, de notre éducation: pour pouvoir choisir de lire ce texte il faut savoir lire, et avoir le bagage culturel minimum pour pouvoir le comprendre...)?
   Tout se passe comme si le libre arbitre était impensable (parce que contradictoire): il implique que l'on puisse faire et ne pas faire une chose en même temps (or soit vous lisez ce texte, soit vous ne le lisez pas); et d'autre part il implique une position de neutralité absolue du sujet face aux termes du choix, c'est à dire d'être sans préférence et donc d'être sans histoire.
  Que le libre arbitre (capacité absolue de choisir) soit une illusion cela réfute t-il toute idée de liberté? Reprenons notre exemple: vous ne pouvez pas ne pas lire ce texte pendant que vous le lisez, vous n'avez pas le choix, mais vous avez le choix de continuer ou d'arrêter de le lire... Choisir non pas à partir d'une position abstraite et fantasmatique de neutralité absolue mais à partir de ce qui est, maintenant, en assumant ce que l'on est, cela s'appelle vouloir. A la différence du libre arbitre, la volonté ne s'oppose pas au réel. Si nous ne pouvons nous inventer littéralement, si nous ne pouvons choisir qu'en fonction de notre histoire, il n'en reste pas moins que nous pouvons vouloir ceci plutôt que cela. Se choisir est la condition de tous les choix, cela n'est possible que si cela veut dire d'abord se voir et s'accepter dans sa vérité et se changer à partir de là.
   Si le présent n'est pas un commencement absolu, il est néanmoins un carrefour, un embranchement vers l'a-venir. Vous n'avez pas le choix de continuer à lire ce texte après son point final, mais vous avez le choix de continuer à y réfléchir.

                                                                                                                                                            J.S.

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